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Le Libraire

Ce fut son coup d’essai que cette comédie.

Dorimant

Cela n’est pas tant mal pour un commencement ;

La plupart de ses vers coulent fort doucement :

Qu’il a de mignardise à décrire un visage !

Scène VI

Hippolyte, Florice, Dorimant, Cléante, le Libraire, la

Lingère

Hippolyte

Madame, montrez-nous quelques collets d’ouvrage.

La Lingère

Je vous en vais montrer de toutes les façons.

Dorimant, au libraire.

Ce visage vaut mieux que toutes vos chansons.

La Lingère, à Hippolyte.

Voilà du point d’esprit, de Gênes, et d’Espagne.

Hippolyte

Ceci n’est guère bon qu’à des gens de campagne.

La Lingère

Voyez bien ; s’il en est deux pareils dans Paris…

Hippolyte

Ne les vantez point tant, et dites-nous le prix.

La Lingère

Quand vous aurez choisi.

Hippolyte

Que t’en semble, Florice ?

Florice

Ceux-là sont assez beaux, mais de mauvais service ; En moins de trois savons on ne les connaît plus.

Hippolyte

Celui-ci, qu’en dis-tu ?

Florice

L’ouvrage en est confus,

Bien que l’invention de près soit assez belle. Voici bien votre fait, n’était que la dentelle Est fort mal assortie avec le passement ; Cet autre n’a de beau que le couronnement.

La Lingère

Si vous pouviez avoir deux jours de patience,

Il m’en vient, mais qui sont dans la même excellence.

(Dorimant parle au libraire à l’oreille.)

Florice

Il vaudrait mieux attendre.

Hippolyte

Eh bien, nous attendrons ;

Dites-nous au plus tard quel jour nous reviendrons.

La Lingère

Mercredi j’en attends de certaines nouvelles. Cependant vous faut-il quelques autres dentelles ?

Hippolyte

J’en ai ce qu’il m’en faut pour ma provision.

Le Libraire, à Dorimant.

J’en vais subtilement prendre l’occasion.

(À la lingère.)

La connais-tu, voisine ?

La Lingère

Oui, quelque peu de vue :

Quant au reste, elle m’est tout à fait inconnue.

(Dorimant tire Cléante au milieu du théâtre, et lui parle à l’oreille.)

Ce cavalier sans doute y trouve plus d’appas Que dans tous vos auteurs ?

Cléante

Je n’y manquerai pas.

Dorimant

Si tu ne me vois là, je serai dans la salle.

(Il prend un livre sur la boutique du libraire.)

Je connais celui-ci ; sa veine est fort égale ;

Il ne fait point de vers qu’on ne trouve charmants. Mais on ne parle plus qu’on fasse de romans ; J’ai vu que notre peuple en était idolâtre.

Le Libraire

La mode est à présent des pièces de théâtre.

Dorimant

De vrai, chacun s’en pique ; et tel y met la main,

Qui n’eut jamais l’esprit d’ajuster un quatrain.

Scène VII

Lysandre, Dorimant, le Libraire, le Mercier

Lysandre

Je te prends sur le livre.

Dorimant

Eh bien, qu’en veux-tu dire ?

Tant d’excellents esprits, qui se mêlent d’écrire, Valent bien qu’on leur donne une heure de loisir.

Lysandre

Y trouves-tu toujours une heure de plaisir ? Beaucoup font bien des vers, et peu la comédie.

Dorimant

Ton goût, je m’en assure, est pour la Normandie.

Lysandre

Sans rien spécifier, peu méritent de voir ; Souvent leur entreprise excède leur pouvoir : Et tel parle d’amour sans aucune pratique.

Dorimant

On n’y sait guère alors que la vieille rubrique : Faute de le connaître, on l’habille en fureur

Et loin d’en faire envie, on nous en fait horreur. Lui seul de ses effets a droit de nous instruire ; Notre plume à lui seul doit se laisser conduire : Pour en bien discourir, il faut l’avoir bien fait ; Un bon poète ne vient que d’un amant parfait.

Lysandre

Il n’en faut point douter, l’amour a des tendresses

Que nous n’apprenons point qu’auprès de nos maîtresses. Tant de sorte d’appas, de doux saisissements, D’agréables langueurs et de ravissements,

Jusques où d’un bel œil peut s’étendre l’empire, Et mille autres secrets que l’on ne saurait dire (Quoi que tous nos rimeurs en mettent par écrit), Ne se surent jamais par un effort d’esprit ;

Et je n’ai jamais vu de cervelles bien faites Qui traitassent l’amour à la façon des poètes :

C’est tout un autre jeu. Le style d’un sonnet Est fort extravagant dedans un cabinet ;

Il y faut bien louer la beauté qu’on adore, Sans mépriser Vénus, sans médire de Flore,

Sans que l’éclat des lis, des roses, d’un beau jour, Ait rien à démêler avecque notre amour.

Ô pauvre comédie, objet de tant de veines,

Si tu n’es qu’un portrait des actions humaines, On te tire souvent sur un original

À qui, pour dire vrai, tu ressembles fort mal !

Dorimant

Laissons la muse en paix, de grâce à la pareille. Chacun fait ce qu’il peut, et ce n’est pas merveille Si, comme avec bon droit on perd bien un procès, Souvent un bon ouvrage a de faibles succès.

Le jugement de l’homme, ou plutôt son caprice, Pour quantité d’esprits n’a que de l’injustice : J’en admire beaucoup dont on fait peu d’état ; Leurs fautes, tout au pis, ne sont pas coups d’État,

La plus grande est toujours de peu de conséquence.

Le Libraire

Vous plairait-il de voir des pièces d’éloquence ?

Lysandre

(Ayant regardé le titre d’un livre que le libraire lui présente.)

J’en lus hier la moitié ; mais son vol est si haut,

Que presque à tous moments je me trouve en défaut.

Dorimant

Voici quelques auteurs dont j’aime l’industrie. Mettez ces trois à part, mon maître, je vous prie ; Tantôt un de mes gens vous les viendra payer.

Lysandre, se retirant d’auprès les boutiques.

Le reste du matin où veux-tu l’employer ?

Le Mercier

Voyez deçà, messieurs ; vous plaît-il rien du nôtre ? Voyez, je vous ferai meilleur marché qu’un autre, Des gants, des baudriers, des rubans, des castors.

Scène VIII

Dorimant, Lysandre

Dorimant

Je ne saurais encor te suivre si tu sors :

Faisons un tour de salle, attendant mon Cléante.

Lysandre

Qui te retient ici ?

Dorimant

L’histoire en est plaisante :

Tantôt, comme j’étais sur le livre occupé,

Tout proche on est venu choisir du point coupé.

Lysandre

Qui ?

Dorimant

C’est la question ; mais s’il faut s’en remettre À ce qu’à mes regards sa coiffe a pu permettre, Je n’ai rien vu d’égal : mon Cléante la suit,

Et ne reviendra point qu’il n’en soit bien instruit, Qu’il n’en sache le nom, le rang et la demeure.

Lysandre

Ami, le cœur t’en dit.

Dorimant

Nullement, ou je meure ;

Voyant je ne sais quoi de rare en sa beauté, J’ai voulu contenter ma curiosité.

Lysandre

Ta curiosité deviendra bientôt flamme ;

C’est par là que l’amour se glisse dans une âme. À la première vue, un objet qui nous plaît N’inspire qu’un désir de savoir quel il est ;

On en veut aussitôt apprendre davantage, Voir si son entretien répond à son visage, S’il est civil ou rude, importun ou charmeur, Éprouver son esprit, connaître son humeur : De là cet examen se tourne en complaisance ; On cherche si souvent le bien de sa présence,

Qu’on en fait habitude, et qu’au point d’en sortir Quelque regret commence à se faire sentir :

On revient tout rêveur ; et notre âme blessée, Sans prendre garde à rien, cajole sa pensée. Ayant rêvé le jour, la nuit à tous propos

On sent je ne sais quoi qui trouble le repos ; Un sommeil inquiet, sur de confus nuages, Élève incessamment de flatteuses images,

Et sur leur vain rapport fait naître des souhaits Que le réveil admire et ne dédit jamais ;

Tout le cœur court en hâte après de si doux guides ; Et le moindre larcin que font ses vœux timides Arrête le larron, et le met dans les fers.

Dorimant

Ainsi tu fus épris de celle que tu sers ?

Lysandre

C’est un autre discours ; à présent je ne touche Qu’aux ruses de l’amour contre un esprit farouche, Qu’il faut apprivoiser presque insensiblement,

Et contre ses froideurs combattre finement. Des naturels plus doux…

Scène IX

Dorimant, Lysandre, Cléante

Dorimant

Eh bien, elle s’appelle ?

Cléante

Ne m’informez de rien qui touche cette belle. Trois filous rencontrés vers le milieu du pont, Chacun l’épée au poing, m’ont voulu faire affront, Et sans quelques amis qui m’ont tiré de peine, Contr’eux ma résistance eût peut-être été vaine ; Ils ont tourné le dos, me voyant secouru,

Mais ce que je suivais tandis est disparu.

Dorimant

Les traîtres ! trois contre un ! t’attaquer ! te surprendre ! Quels insolents vers moi s’osent ainsi méprendre ?

Cléante

Je ne connais qu’un d’eux, et c’est là le retour

De quelques tours de main qu’il reçut l’autre jour, Lorsque, m’ayant tenu quelques propos d’ivrogne, Nous eûmes prise ensemble à l’hôtel de Bourgogne.

Dorimant

Qu’on le trouve où qu’il soit ; qu’une grêle de bois Assemble sur lui seul le châtiment des trois ;

Et que sous l’étrivière il puisse tôt connaître,

Quand on se prend aux miens, qu’on s’attaque à leur maître !

Lysandre

J’aime à te voir ainsi décharger ton courroux : Mais voudrais-tu parler franchement entre nous ?

Dorimant

Quoi ! tu doutes encor de ma juste colère ?

Lysandre

En ce qui le regarde, elle n’est que légère : En vain pour son sujet tu fais l’intéressé ;

Il a paré des coups dont ton cœur est blessé : Cet accident fâcheux te vole une maîtresse ; Confesse ingénument, c’est là ce qui te presse.

Dorimant

Pourquoi te confesser ce que tu vois assez ? Au point de se former, mes desseins renversés,

Et mon désir trompé, poussent dans ces contraintes, Sous de faux mouvements, de véritables plaintes.

Lysandre

Ce désir, à vrai dire, est un amour naissant

Qui ne sait où se prendre, et demeure impuissant ; Il s’égare et se perd dans cette incertitude ;

Et renaissant toujours de ton inquiétude,

Il te montre un objet d’autant plus souhaité, Que plus sa connaissance a de difficulté. C’est par là que ton feu davantage s’allume :

Moins on l’a pu connaître, et plus on en présume ; Notre ardeur curieuse en augmente le prix.

Dorimant

Que tu sais cher ami, lire dans les esprits ! Et que, pour bien juger d’une secrète flamme,

Tu pénètres avant dans les ressorts d’une âme !

Lysandre

Ce n’est pas encor tout, je veux te secourir.

Dorimant

Oh, que je ne suis pas en état de guérir ! L’amour use sur moi de trop de tyrannie.

Lysandre

Souffre que je te mène en une compagnie

Où l’objet de mes vœux m’a donné rendez-vous ; Les divertissements t’y sembleront si doux,

Ton âme en un moment en sera si charmée Que, tous ses déplaisirs dissipés en fumée, On gagnera sur toi fort aisément ce point D’oublier un objet que tu ne connais point. Mais garde-toi surtout d’une jeune voisine

Que ma maîtresse y mène ; elle est et belle et fine, Et sait si dextrement ménager ses attraits,

Qu’il n’est pas bien aisé d’en éviter les traits.

Dorimant

Au hasard, fais de moi tout ce que bon te semble.

Lysandre

Donc, en attendant l’heure, allons dîner ensemble.

Scène X

Hippolyte, Florice

Hippolyte

Tu me railles toujours.

Florice

S’il ne vous veut du bien,

Dites assurément que je n’y connais rien. Je le considérais tantôt chez ce libraire ;

Ses regards de sur vous ne pouvaient se distraire, Et son maintien était dans une émotion

Qui m’instruisait assez de son affection.

Il voulait vous parler, et n’osait l’entreprendre.

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