Добавил:
Upload Опубликованный материал нарушает ваши авторские права? Сообщите нам.
Вуз: Предмет: Файл:

07

.docx
Скачиваний:
10
Добавлен:
22.02.2015
Размер:
23.79 Кб
Скачать

28 JOSEPH ZOBEL

« Ils sont vraiment jolis, vos muguets ; merci pour le beau bouquet que vous avez donné à ma petite-fille. »

Elle lui montrait la botte de muguet qui, délicate­ment tenue entre ses doigts, était devenue une véri-345 table parure. Mais il ne l'écoutait pas.

« Ne pourriez-vous pas me dire quel crime j'ai fait ? criait-il.

  • Tenez, disait la dame, prenez ça. »

Et, voyant la pièce qu'elle lui tendait, il protesta : 350 «Gardez votre argent, Madame. Je suis un vaga­bond, un gueux, comme ils disent. Je n'ai pas de famille, je n'ai pas le droit de manger.

  • Oh, dit la dame, ne vous en faites pas, allez !

  • Je n'ai pas droit à l'hospice, poursuivait-il. Il n'y 355 a que la prison qui soit faite pour moi. La prison

seulement, vous entendez?»

Bravant ses gestes désordonnés, la dame parvint à glisser la pièce dans la poche de sa veste et s'en fut, en se caressant le nez avec le bouquet de muguet.

360 Alors, en maugréant, il longea le talus d'un pas hésitant et mal assuré, puis se laissa tomber sur l'herbe et demeura là, recroquevillé, écrasant son visage dans ses mains. Il ne sanglotait pas.

365 II se pelotonnait de plus en plus et, par moments, laissait échapper un grognement, à la manière d'une bête blessée qui perd tout son sang — ou d'un gueux, d'un vagabond, cuvant son vin, là, sans vergogne. Mais on ne faisait plus guère attention à lui.

370 La clairière avait pris l'aspect d'une grande fête champêtre où les arbres coiffés de soleil jouaient du cuivre et de la cornemuse.

Le Soleil partagé, © Sté Nouvelle, Présence africaine 1964.

FLEURISSEZ-VOUS... 29 Notes

Les numéros entre parenthèses renvoient aux numéros des lignes.

(2) Muguet : plante qui fleurit en mai dans les forêts. En France,

on offre du muguet le jour du 1" mai pour porter bonheur. i4) De serre : cultivé sous abri. (9) Crosse : tige en forme de bâton recourbé. (10) Perlaient : formaient comme des perles. 113) Bourgeons : boutons qui poussent aux arbres et d'où sortiront des branches, des feuilles ou des fleurs. Corolles : ensemble des pétales d'une fleur. 117) Fringant : plein de vie. (30) Flopées (familier) : grand nombre. ! 34) Economiquement faibles : qui ont peu d'argent. (44) Bedonnants : qui ont un gros ventre. (47) Hilarité : gaieté qui se marque par le rire. (55) Dais : tissu tendu, servant de toit. (59) Abreuvoir : lieu où les animaux vont boire. 5S) Clairière : endroit sans arbres, dans une forêt, i S4) Hypnotiser : immobiliser par le seul regard. (97) Eclosion : naissance des plantes, des fleurs. 99) Champignons, jonquilles, pissenlit : plantes et fleurs. : 04) Ebats : jeux.

Faux : instrument qui sert à couper l'herbe. 123) Allure... saccadée et titubante : il ne marchait pas régulière­ment, comme s'il avait bu. (126) Litron (familier) : bouteille. 130) Canon de rouge (familier) : verre de vin rouge. ;37) Godillots (familier) : gros souliers.

1141) Son poing incisé et parcouru d'un réseau de crevasses :

il avait des fentes sur les mains. AS) L'ayant ceint d'une fibre : l'ayant attaché pour former un

bouquet. 163) Exterminer : tuer. 205) Fourgonnette : voiture. 207) Bourdon : gros insecte noir. (213) Képis : chapeaux des gendarmes.

(219) Qu'est-ce que vous foutez là? (familier) : Qu'est-ce que vous faites là?

~23) De mauvais augure : qui annonce un malheur. 224) Apostrophent : interpellent. 232) Brigadier : gendarme en chef.

30 JOSEPH ZOBEL

(251) Crasse : saleté.

(270) Main-d'œuvre saisonnière : ouvriers employés pour une durée limitée.

(285) Avoir le guignon (familier) : ne pas avoir de chance.

(303) Singeries : grands gestes (comme ceux d'un singe).

(310) Faire l'andouille (familier) : faire le sot.

(330) Comme une meute : comme une troupe de chiens de chasse.

(335) Casquette : chapeau.

(354) Hospice : maison où l'on recueille les vieillards. (360) En maugréant : en parlant seul pour se plaindre. (368) Cuvant son vin : dormant après avoir trop bu.

Sans vergogne : sans honte. (372) Cuivre et cornemuse : instruments de musique.

Les clochards

Marcel Aymé

Les clochards du boulevard de la Chapelle, chassés par la tempête, désertaient les bancs pour chercher un abri. Des ombres traquées erraient sous la haute galerie couverte par le tablier du chemin de fer aérien a balayée par le grand vent. Maillard abandonna son banc où il était seul, hésita au milieu d'un courant d'air et se réfugia derrière l'une des piles de pierre qui supportent la voie aérienne. Il y trouva la compa­gnie d'un vagabond qui ne lui accorda pas un regard. Le dos collé à la muraille, les deux hommes se tenaient debout, l'un à côté de l'autre, les mains aux poches et la tête basse, serrant avec leurs mentons leurs cols de veste relevés. Ils frissonnaient dans la lumière municipale.

  • C'est un sale temps, dit Maillard, il pleut comme vache. Quelle nuit...

L'autre ne répondit pas, ne leva même pas les yeux. C'était un petit homme au visage maladif, envahi de poil noir. Ses vêtements étaient minces.

  • C'est rare qu'en avril on voie un temps comme celui-là, poursuivit Maillard. Tu avais déjà vu ça toi ? Écoute-moi ce vent, quel vacarme, hein...

  • 32

  • MARCEL AYME

  • LES CLOCHARDS

  • 33

  • N'ayant pas de réponse, il parut d'abord se rési­gner au silence de son voisin. Les rafales de vent tour-25 billonnaient avec de hautes clameurs entre les piliers ; parfois un paquet de pluie, aspiré par un courant d'air, fouettait les deux clochards. Maillard dit encore :

  • Ce n'est pas un temps à rester dehors, hein ? Pas 30 un temps à rester dehors, bon Dieu... Pourquoi tu

  • ne me réponds pas, dis... pourquoi?... Je suis autant que toi, dis...

  • Le petit homme demeurait immobile, les lèvres ser­rées. Maillard s'emporta : 35 — A la fin, tu vas l'ouvrir ta sale gueule ! Qu'est-ce que tu te crois donc ! Allez, parle... dis-moi quel­que chose. Regarde-moi. Je te dis de me regarder.

  • Le voisin haussa une épaule, avec économie, et murmura : 40 — Crâneur.

  • Les mâchoires contractées, il se ramassait dans son mutisme. Maillard suppliait.

  • Ah! parle-moi... dis-moi seulement que tu m'écoutes, rien que ça. Voilà quinze jours que per-

  • 45 sonne ne m'écoute. Je n'ai pas l'habitude. Parle-moi, dis-moi ce que tu voudras. Tiens, j'ai encore huit francs cinquante dans ma poche. Le voisin de la cloche leva sur lui un regard irrité.

  • Crâneur. Je dis bien. Si tu avait huit francs cin-50 quante, qu'est-ce que tu ferais là...

  • Quoi, qu'est-ce que tu veux que je fasse ?

  • Si tu avais encore huit francs cinquante, comme tu dis, tu ne serais pas là. Il ne manque pas de cafés qui sont encore ouverts du côté de leurs boîtes de nuit. Et d'abord on trouve à se coucher pour moins cher que ça. Garde tes boniments, je n'aime pas les crâneurs.

  • Maillard fouilla dans sa poche, fit tinter des pièces de monnaie qu'il aligna sur sa main ouverte. Il y avait huit pièces de vingt sous et une de dix sous.

  • Et ça, dit-il, qu'est-ce que c'est ? Regarde bien et dis-moi ce que c'est.

  • L'autre compta les pièces du regard et répondit avec colère :

  • Tant mieux pour toi, si tu en as. Je te dis seule­ment de me foutre la paix. Il fait déjà assez froid.

  • Maillard remit les pièces dans sa poche et lui tou­cha l'épaule.

  • Tu vois, dit-il, ce n'est pas des boniments. Écoute, demain matin, on ira prendre un café ensem­ble. Mais je voudrais que tu me parles, je voudrais que tu me demandes comment je m'appelle, d'où je viens... Il y a quinze jours que personne ne m'a dit mon nom. Je m'appelle Maillard. C'est facile à rete­nir, hein, Maillard... Maillard...

  • Maillard, répéta l'autre. Tu t'appelles Maillard... Dis donc, tu es bien habillé...

  • Il tâta la veste de gros drap gris, le pantalon de velours à côtes.

  • C'est comme neuf. Moi, je m'appelle Dominique Ravaux, oui, Dominique. Ça ne me sert à rien, de m'appeler Dominique. Il faut des occasions comme voilà aujourd'hui pour que je m'en souvienne, ou des fois que les flics m'embarquent, mais maintenant, ils me connaissent, ils ne veulent même plus me gar­der au poste. Mais toi, je ne t'avais jamais vu...

Соседние файлы в предмете [НЕСОРТИРОВАННОЕ]