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La religion civique

Au premier plan, figure l'idée favorite et fixe du philosophisme vieillot, je veux dire le plan arrêté et suivi de fonder une religion laïque, d'imposer à vingt-six millions de Français les observances et les dogmes de la théorie, partant d'extirper le christianisme, son culte et son clergé. Avec une persistance et une minutie extraordinaires, les inquisiteurs en place multiplient les prescriptions et les rigueurs, pour convertir de force la nation et pour substituer aux habitudes de cœur nourries par une pratique de dix-huit siècles, les rites improvisés que la logique abstraite a fabriqués mécaniquement dans son cabinet. ‒ Jamais l'imagination plate du lettré de troisième ordre et du poétereau classique, jamais la solennité grotesque du pédant fier de ses phrases, jamais la dureté tracassière du dévot borné et entêté, ne se sont étalées avec plus d'emphase sentimentale et plus d'ingérence administrative que dans les décrets du Corps législatif, dans les arrêtés du Directoire, dans les instructions des ministres Sotin, Letourneur, Lambrechts, Duval et François de Neufchâteau. Guerre au dimanche, à l'ancien calendrier et au maigre ; chômage obligatoire du décadi, sous peine d'amende et de prison ; fêtes obligatoires pour les anniversaires du 21 janvier et du 18 fructidor; participation obligatoire de tous les fonctionnaires et de leur famille au culte nouveau; assistance obligatoire des instituteurs publics ou privés, avec leurs élèves des deux sexes, aux cérémonies civiques ; liturgie obligatoire ; catéchismes et programmes expédiés de Paris ; règlement du décor et des chants, des lectures et des postures, des acclamations et des imprécations : devant ces prescriptions de cuistres et ces parades de marionnettes, on ne ferait que hausser les épaules, si, derrière l'apôtre qui compose des allégories morales, on n'apercevait pas le persécuteur qui incarcère, supplicie et tue (Les origines de la France contemporaine, t. VIII, p.388-389).

 

Supériorité de la science historique allemande

A M. Gabriel Monod. Toulouse, 30 août 1864

...

Je prends donc votre question tout à fait abstraitement. Il s'agit simplement de savoir si, étant donné un homme intelligent, instruit, muni de la meilleure éducation française, cet homme fera bien d'aller achever son éducation en Allemagne. Je réponds oui, sans hésтiter.

La plupart des grandes études historiques ont aujourd'hui leur centre et leur source en Allemagne. Cela est incontestable pour les études sanscrites et persanes, pour l'exégèse biblique tout entière, pour toute l'histoire et la philologie grecque et latine. Lorsqu'on arrive à l'histoire moderne, cela est moins vrai. Chaque nation, l'Angleterre, la France, a ses historiens originaux, et néanmoins, même dans ces provinces étrangères, dans l'histoire de l'Italie, de la Provence, de l'Espagne, les Allemands font autant que les nationaux.

Leur supériorité historique a deux causes. En premier lieu, ils sont philologues, ils vont aux textes mêmes, ils lisent les manuscrits et les documents inédits, ils viennent à Paris, à Oxford, à Dublin étudier les variantes. Leurs études sont de première main. Le défaut de l'éducation universitaire est de donner la science de seconde main, par des manuels, des résumés, des cours, des éditions toutes faites. Avant tout, un écrivain, un historien doit se mettre face à face et sans intermédiaire avec les monuments et les documents, tels qu'ils sont, frustes et mutilés, avant toute rectification et restauration.

En second lieu, ils sont philosophes. ‒ Presque tous ont suivi à l'Université, ou suivent pendant leurs études, un ou deux cours de philosophie, ce qui leur donne l'habitude de généraliser, de voir les objets par masses. De là leurs idées sur l'ensemble et le développement d'une civilisation entière ; et vous savez que dans les époques éloignées et sans chronologie, comme l'antiquité hébraïque et hindoue, c'est par ces considérations qu'on parvient à classer et à dater les documents.

Au retour, la France vous donnera quelque chose qui manque à l'Allemagne ; voyez des artistes, des peintres, des voyageurs, des gens du monde, surtout des romanciers, des observateurs comme Flaubert et Sainte-Beuve. Ceux-là seuls, et bien mieux que Gervinius ou Loessen, vous enseigneront à connaître l'individu, le personnage réel et vivant, et à le mettre en mouvement (H. Taine. Sa vie et sa correspondance, t. II, p.315-317).