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JOURNAL DUN MDECIN DE CAMPAGNE.doc
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04.03.2016
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Journal d'un médecin de campagne1

(Un étudiant en médecine qui est externe dans un hôpital de Paris va remplacer pour quelque temps un vieux médecin de campagne. Ce dernier donne à son jeune confrère quelques conseils).

- Depuis quarante ans que j'exerce ici, mes malades sont habitués à moi. Un jeune remplaçant inconnu, à la place de leur vieux médecin, ça va sûrement les effaroucher2. S'ils vous boudent3 un peu, il ne faudra4 pas vous vexer5, n'est-ce pas?

D'abord laissez parler le malade; c'est la seule façon de le mettre à l'aise6. Écoutez-le avec attention; ce qu'il souhaite avant tout, c'est d'être pris au sérieux. Vous verrez! Tandis qu'à l'hôpital, tellement tout l'impressionne7, il ne trouve rien à dire et accepte sans discussion ce qu'on lui affirme8, ici il n'en finira plus de se raconter9. Il vous faudra, pour le ramener aux questions essentielles, beaucoup de douceur10, sans jamais paraître11 pressé ou las12. Le malade est égoïste, il n'essaie pas de se mettre à votre place ou d'abréger13 un seul détail, même si la soirée s'avance et si votre tournée14 est encore longue. Le grand art du médecin, où doit entrer autant de bonté15 que de savoir-faire16, c'est de laisser croire à chaque malade qu'on en soigne beaucoup d'autres, mais qu'on ne s'occupe que de lui seul...

Vous ne perdrez pas votre temps à écouter patiemment le malade. C'est lui qui, avec le récit minutieux17 de ses malaises, de ses douleurs, tels qu'il les a éprouvés18 directement19 et non, tels qu'on vous les a décrits20 schématiquement21 et sèchement dans les livres, vous apprendra les mille difficultés de votre métier22; c'est lui, au jour le jour, qui sera votre véritable professeur. Alors, de la patience. Expliquez bien vos ordonnances; lorsque vous entendrez dans la bouche de vos malades les stupidités médicales les plus effarantes23, ne bronchez24 pas, ne dites rien ...

Ce qui importe25 aux gens que vous soignerez, ce n'est pas le diagnostic, mais c'est le pronostic26. Enfin, comme vous vous tromperez quelquefois, ne perdez pas courage.

Cela arrive aux plus grands maîtres. Si vous êtes philosophe, à la longue27, vous ne vous inquiéterez plus que de savoir le nombre de fois, où dans l'année vous aurez refait28 la même erreur.

Mais si vous aimez vraiment vos malades, vous souffrirez de ces erreurs, comme de la plus cruelle rançon29 d'un art difficile, jusqu'au dernier jour de votre carrière.

(Le vieux médecin parti, l'étudiant donne sa première consultation).

Je regardais la pendule. Il était quatre heures et demie. Il me restait un dernier consultant. C'était un paysan âgé, maigre30, osseux31. Il m’a salué de la tête et est venu tout de suite au fait32: il m'avait vu à l'œuvre33 et souhaitait34 «prendre consultation».

J'ai fait asseoir l'homme dans un fauteuil devant moi, et attendais qu'il me racontât son histoire35. Comme il se taisait36 tout en fixant sur moi un regard scrutateur37, j’ai fini par lui dire:

- Eh bien! Monsieur, je vous écoute, expliquez-moi où vous avez mal?

- Ah, non! a répondu l'homme, ce n'est pas à moi de vous le dire. C'est à vous de le trouver.

J’ai cru38 tout d'abord qu'il plaisantait, j'essayai de lui expliquer qu'il fallait me mettre un tout petit peu sur la voie39, me dire au moins ce dont il se plaignait40, la région où il souffrait. Il n’a voulu rien entendre.

J’ai demandé à l'homme de se déshabiller. Il a entrepris41 de le faire avec lenteur. Puis, le torse42 nu, il attendait mon examen. J’ai cherché du regard quelque signe43 pour me permettre d’établir un diagnostic immédiat44. C’était en vain45, et j’ai décidé d'ausculter les poumons, le coeur; je n’ai rien trouvé d'ailleurs d'anormal. J’ai pris ensuite la tension artérielle, elle était satisfaisante46 pour un homme de cet âge. J’ai fait jouer les articulations des bras47, celles de la colonne vertébrale48; j'ai examiné les yeux, les oreilles, toujours sans découvertes notoires49.

Dans la moitié supérieure de son corps, cet homme paraissait être fait pour devenir centenaire50.

J’ai repris mon examen. Foie, estomac, intestin51, tout était en ordre. L'homme s'était laissé52 faire en silence, observant mes investigations d'un air à la fois attentif et respectueux. Je ne voyais pas comment j'allais sortir à mon avantage53 de cette consultation déconcertante54. Au moins55 pour moi cet homme n'était pas malade et je me suis apprêté56 à le lui dire, lorsque tout à coup j'ai aperçu une croûte rougeâtre et suintante57. Je n'en espérais pas mieux. Aussitôt je me suis relevé58 pour déclarer avec un accent de triomphe59:

- Eh bien, je vous ai au moins trouvé quelque chose! Vous avez de l'eczéma60!

Mai avant de reprendre mon examen, l'homme d'un bond61, s'est remis sur ses pieds. Il semblait ravi62.

-Alors, monsieur le docteur, a-t-il demandé, comme ça, vous ne me trouvez que de l'eczéma?

- Exactement, rien d'autre que de l'eczéma, mais j’ai vous averti63 tout de suite qu'il ne sera pas très commode à guérir64!

- Oh, ça, je n'y tiens pas à le guérir! M.Delpueon me dit toujours qu'un bon eczéma c'est un signe de longue vie et qu'il vaut mieux le laisser couler tant qu'il veut, que ce sont les humeurs65 qui partent et que ça m'évite bien pire66...

J'étais ahuri67. Cet homme qui a demandé une consultation pour s'entendre68 énoncer un diagnostic69 qu'il connaissait déjà, et, de plus, il refusait mon traitement! Alors pourquoi est-il venu me voir?

L'homme m'observait avec une admiration évidente.

- Ah, vous pouvez dire que vous êtes un bon docteur! Ce n'est pas tous les docteurs qui savent trouver mon eczéma! Ah, oui, je suis bien content d'être venu me faire ausculter. Je ne regrette pas mon argent avec vous. Vous, au moins, vous auscultez bien.

Il a conclu d'un air convaincu70 et heureux:

- Tant mieux si vous ne m'avez rien trouvé d'autre! On a toujours bien trop de misères. Seulement, les docteurs vous disent souvent que vous n'avez rien, parce qu'ils n'ont pas su le trouver. Mais vous, vous êtes un bon médecin et on peut avoir confiance dans ce que vous dites.

Enfin j'ai compris: cet eczéma, c'était le test de ce paysan sur la valeur scientifique des médecins qu'il venait consulter pour la première fois. En se déclarant malade et en se taisant jusqu'au bout sur son eczéma, il obligeait le docteur à un examen minutieux.

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