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Fustel de Coulanges.doc
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Institutions politiques et longue durée

Les institutions politiques ne sont jamais l'œuvre de la volonté d'un homme ; la volonté même de tout un peuple ne suffit pas à les créer. Les faits humains qui les engendrent ne sont pas de ceux que le caprice d'une génération puisse changer. Les peuples ne sont pas gouvernés suivant qu'il leur plaît de l'être, mais suivant que l'ensemble de leurs intérêts et le fond de leurs opinions exigent qu'ils le soient. C'est sans doute pour ce motif qu'il faut plusieurs âges d'hommes pour fonder un régime politique et plusieurs autres âges d'hommes pour l'abattre.

De là vient aussi la nécessité pour l'historien d'étendre ses recherches sur un vaste espace de temps. Celui qui bornerait son étude à une seule époque s'exposerait, sur cette époque même, à de graves erreurs. Le siècle où une institution apparaît au grand jour, brillante, puissante, maîtresse, n'est presque jamais celui où elle s'est formée et où elle a pris sa force. Les causes auxquelles elle doit sa naissance, les circonstances où elle a puisé sa vigueur et sa sève, appartiennent souvent à un siècle fort antérieur. Cela est surtout vrai de la féodalité, qui est peut-être, de tous les régimes politiques, celui qui a eu ses racines au plus profond de la nature humaine (Histoire des institutions politiques, Introduction, p.2-3).

 

Difficulté du travail de l'historien

L'histoire n'est pas une science facile ; l'objet qu'elle étudie est infiniment complexe ; une société humaine est un corps dont on ne peut saisir l'harmonie et l'unité qu'à la condition d'avoir examiné successivement et de très-près chacun des organes qui le composent et qui en font la vie. Une longue et scrupuleuse observation du détail est donc la seule voie qui puisse conduire à quelque vue d'ensemble. Pour un jour de synthèse il faut des années d'analyse. Dans des recherches qui exigent à la fois tant de patience et tant d'effort, tant de prudence et tant de hardiesse, les chances d'erreur sont innombrables, et nul ne peut se flatter d'y échapper. Pour nous, si nous n'avons pas été arrêté par le sentiment profond des difficultés de notre tâche, c'est que nous pensons que la recherche sincère du vrai a toujours son utilité. N'aurions-nous fait que mettre en lumière quelques points jusqu'ici négligés, n'aurions-nous réussi qu'à attirer l'attention sur des problèmes obscurs, notre labeur ne serait pas perdu, et nous nous croirions encore en droit de dire que nous avons travaillé, pour une part d'homme, au progrès de la science historique et à la connaissance de la nature humaine (Histoire des institutions politiques, Introduction, p.4).

 

La Gaule sans la conquête romaine ?

Au temps de l'indépendance, ils [les Gaulois] avaient eu des institutions sociales et une religion qui les condamnaient, à la fois, à l'extrême mobilité des gouvernements et à l'extrême immobilité de l'intelligence. D'une part, la vie politique, agitée par les partis et les ambitions, ne connaissait pas le repos et le calme sans lesquels il n'y a ni travail ni prospérité. D'autre part, la vie intellectuelle, régentée par un clergé à idées étroites et à doctrines mystérieuses, ne connaissait ni la liberté ni le progrès. On peut se demander ce que serait devenue la population gauloise si elle était restée livrée à elle-même. Ce qu'elle devint dans l'Irlande et le pays des Galles ne fait pas préjuger qu'elle aurait eu un grand avenir. On a supposé qu'elle aurait pu créer une civilisation originale ; pure hypothèse. Il ne faut pas oublier que les Gaulois appartenaient à la même grande race dont les Grecs et les Romains étaient deux autres branches. Ils avaient les mêmes goûts et les mêmes aptitudes que ces peuples. La civilisation romaine n'était pas pour eux une civilisation étrangère ; elle était celle de leur race, elle était celle de l'humanité même ; elle était la seule qui leur convînt et vers laquelle ils dussent tendre les forces de leur esprit. Le but qu'ils n'auraient atteint qu'après de longs efforts et un immense travail, fut instantanément mis à leur portée par la conquête romaine. Ils le saisirent avidement, et comme d'heureux enfants qui n'ont qu'à hériter du labeur paternel, ils mirent la main sur ce beau fruit que vingt générations de Grecs et de Romains avaient travaillé à produire.

Nous avons vu, d'ailleurs, que la possibilité même de l'indépendance n'existait pas, et que la vraie alternative avait été entre la conquête romaine et la conquête germanique. Il faut donc se demander ce que serait devenue la population de ce pays s'il eût obéi aux Germains au lieu d'obéir à Rome, c'est-à-dire si, César n'étant pas venu, Arioviste en fût resté le maître et les Germains après lui. Il faut alors se représenter par la pensée l'absence complète de tous ces arts, de ces monuments, de ces villes, de ces routes, de tout ce travail, de toute cette prospérité, de tout ce développement d'esprit, dont les traces sont encore visibles sur le sol et plus visibles encore dans l'âme des habitants. L'invasion germanique ne se produisit que cinq siècles plus tard, c'est-à-dire à une époque où la civilisation avait jeté de si profondes racines que les barbares ne purent pas l'extirper et furent au contraire enlacés par elle. Si elle se fût accomplie au temps d'Arioviste, il en eût été tout autrement : la Gaule n'aurait jamais possédé la civilisation et n'aurait pas pu la transmettre aux Germains (Histoire des institutions politiques, p.70-72).

 

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