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Fustel de Coulanges.doc
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Fustel polémiste

Le véritable patriotisme n'est pas l'amour du sol, c'est l'amour du passé, c'est le respect pour les générations qui nous ont précédés. Nos historiens ne nous apprennent qu'à les maudire, et ne nous recommandent que de ne pas leur ressembler. Ils brisent la tradition française, et ils s'imaginent qu'il restera un patriotisme français. Ils vont répétant que l'étranger vaut mieux que la France, et ils se figurent qu'on aimera la France. Depuis cinquante ans, c'est l'Angleterre que nous aimons, c'est l'Allemagne que nous louons, c'est l'Amérique que nous admirons. Chacun se fait son idéal hors de France. Nous nous croyons libéraux et patriotes quand nous avons médit de la patrie. Involontairement et sans nous en apercevoir, nous nous accoutumons à rougir d'elle et à la renier. Nous nourrissons au fond de notre âme une sorte de haine inconsciente à l'égard de nous-mêmes. C'est l'opposé de cet amour de soi qu'on dit être naturel à l'homme ; c'est le renoncement à nous-mêmes. C'est une sorte de fureur de nous calomnier et de nous détruire, semblable à cette monomanie du suicide dont vous voyez certains individus tourmentés. Nos plus cruels ennemis n'ont pas besoin d'inventer les calomnies et les injures : ils n'ont que la peine de répéter ce que nous disons de nous-mêmes. Leurs historiens les plus hostiles n'ont qu'à traduire les nôtres. Quand l'un d'eux écrit que « la race gauloise était une race pourrie », il ne fait que répéter ce que nous avons dit en d'autres termes. Quand M. de Sybel parle de « la corruption incurable » de l'ancienne société française, il n'est que l'écho affaibli de la plupart de nos historiens. M. de Bismarck disait naguère que la France était une nation orgueilleuse, ambitieuse, ennemie du repos de l'Europe ; c'est chez nos historiens qu'il avait pris ces accusations. Nous avons appris récemment que l'étranger nous détestait ; il y avait cinquante ans que nous nous appliquions à convaincre l'Europe que nous étions haïssables. L'histoire française combattait pour l'Allemagne contre la France. Elle énervait chez nous le patriotisme ; elle le surexcitait chez nos ennemis. Elle nous apprenait à nous diviser, elle enseignait aux autres à se réunir contre nous, et elle semblait justifier d'avance leurs attaques et leurs convoitises (Questions contemporaines, p.9-10).

 

"Cette vraie science française d'autrefois"

Assurément il serait préférable que l'histoire eût toujours une allure plus pacifique, qu'elle restât une science pure et absolument désintéressée. Nous voudrions la voir planer dans cette région sereine où il n'y a ni passions, ni rancunes, ni désirs de vengeance. Nous lui demandons ce charme d'impartialité parfaite qui est la chasteté de l'histoire. Nous continuons à professer, en dépit des Allemands, que l'érudition n'a pas de patrie. Nous aimerions qu'on ne pût pas la soupçonner de partager nos tristes ressentiments, et qu'elle ne se pliât pas plus à servir nos légitimes regrets qu'à servir les ambitions des autres. L'histoire que nous aimons, c'est cette vraie science française d'autrefois, cette érudition si calme, si simple, si haute de nos Bénédictins, de notre Académie des Inscriptions, des Beaufort, des Fréret, de tant d'autres, illustres ou anonymes, qui enseignèrent à l'Europe ce que c'est que la science historique, et qui semèrent, pour ainsi dire, toute l'érudition d'aujourd'hui. L'histoire en ce temps-là ne connaissait ni les haines de parti, ni les haines de race ; elle ne cherchait que le vrai, ne louait que le beau, ne haïssait que la guerre et la convoitise. Elle ne servait aucune cause ; elle n'avait pas de patrie ; n'enseignant pas l'invasion, elle n'enseignait pas non plus la revanche. Mais nous vivons aujourd'hui dans une époque de guerre. Il est presque impossible que la science conserve sa sérénité d'autrefois. Tout est lutte autour de nous et contre nous ; il est inévitable que l'érudition elle-même s'arme du bouclier et de l'épée (Questions contemporaines, p.25-27).

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