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Autres réflexions sur la tâche de l'historien

L'empire romain ne ressemble à aucun des régimes politiques qui se sont succédé en France jusqu'à nos jours. Il ne convient d'en faire ni la satire ni l'apologie. Il le faut juger d'après les idées de ce temps-là, non d'après celles d'aujourd'hui. L'historien n'a pas à dire ce qu'il pense personnellement de ce régime ; il doit dire plutôt ce que les hommes d'alors en ont pensé. Il doit chercher, à l'aide des documents, comment cette monarchie a été appréciée par les générations qui lui ont obéi et qui ont dû être heureuses ou malheureuses par elle.

On a conservé de ces cinq siècles un grand nombre d'écrits. Il y a les œuvres des poëtes, celles des historiens, celles des jurisconsultes. Il y a des lettres intimes ; il y a des panégyriques et des satires. Nous avons autre chose encore que les livres pour nous faire connaître les opinions des hommes ; ce sont les médailles, ce sont les inscriptions, ce sont les monuments de toute sorte qui ont été élevés par des villes ou par des particuliers. Les tombeaux mêmes et les épitaphes qu'ils portent nous disent les pensées intimes et l'état d'âme de ces générations. Voilà des témoins de toute nature, de toute nation, de toute condition sociale.

On ne trouve pas dans tout cela un seul indice qui marque que les populations aient été hostiles à l'empire (Histoire des institutions politiques, p.88-89).

 

A propos des invasions germaniques

On se représente ordinairement, au début de l'histoire de France, une immense irruption de Germains. On se figure la Gaule inondée, écrasée, asservie. Que des Germains soient entrés dans l'empire, qu'ils l'aient même, de plusieurs façons, envahi, c'est ce qui n'est pas contestable ; mais ce qui l'est, c'est le caractère qu'on assigne d'ordinaire à cet événement, ce sont les grandes conséquences qu'on lui attribue.

Il semble qu'il ait changé la face du pays et qu'il ait donné à ses destinées une direction qu'elles n'auraient pas eue sans lui. Il est pour beaucoup d'historiens, et pour la foule, la source d'où est venu tout l'ancien régime. Les seigneurs féodaux se sont vantés d'être les fils des conquérants ; les bourgeois et les paysans ont cru que le servage de la glèbe leur avait été imposé par l'épée d'un vainqueur. Chacun s'est ainsi figuré une conquête originelle d'où était venu son bonheur ou sa souffrance, sa richesse ou sa misère, sa condition de maître ou sa condition d'esclave. Une conquête, c'est-à-dire un acte brutal, serait ainsi l'origine unique de l'ancienne société française. Tous les grands faits de notre histoire ont été appréciés et jugés au nom de cette iniquité première ; la féodalité a été présentée comme le règne des conquérants, l'affranchissement des communes comme le réveil des vaincus, et la Révolution de 1789 comme leur revanche.

Il faut d'abord reconnaître que cette manière d'envisager l'histoire de la France n'est pas très-ancienne ; elle ne date guère que de trois siècles. Les anciens chroniqueurs, qui étaient contemporains de l'établissement des Germains et qui l'ont vu de leurs yeux, mentionnent sans nul doute beaucoup de ravages et de violences ; mais ils ne montrent jamais une race vaincue, une population entière assujettie. Nous possédons d'innombrables écrits de ce temps-là ; ils ne présentent jamais l'idée d'un peuple réduit au servage. Le moyen âge a beaucoup écrit ; ni dans ses chroniques, ni dans ses légendes, ni dans ses romans nous ne voyons jamais que la conquête germanique ait asservi la Gaule. On y parle sans cesse de seigneurs et de serfs ; on n'y dit jamais que les seigneurs soient les fils des conquérants étrangers ni que les serfs soient les Gaulois vaincus. Philippe de Beaumanoir au treizième siècle, Comines au seizième, et beaucoup d'autres écrivains cherchent à expliquer l'origine de l'inégalité sociale, et il ne leur vient pas à l'esprit que la féodalité et le servage dérivent d'une ancienne conquête. Le moyen âge n'eut aucune notion d'une différence ethnographique entre Francs et Gaulois. On ne trouve, durant dix siècles, rien qui ressemble à une hostilité de races. La population gauloise n'a jamais conservé un souvenir haineux des Francs ni des Burgondes ; aucun des personnages de ces nations n'est présenté comme un ennemi dans les légendes populaires. Ni les écrits ni les traditions de toute cette époque ne portent la trace de la douleur qu'un universel asservissement eût mise dans l'âme des vaincus.

L'opinion qui place au début de notre histoire une grande invasion, et qui partage dès lors la population française en deux races inégales, n'a commencé à poindre qu'au seizième siècle et a surtout pris crédit au dix-huitième. Elle est née de l'antagonisme des classes, et elle a grandi avec cet antagonisme. Elle pèse encore sur notre société présente : opinion dangereuse, qui a répandu dans les esprits des idées fausses sur la manière dont se constituèrent les sociétés humaines, et qui a aussi répandu dans les cœurs des sentiments mauvais de rancune et de vengeance. C'est la haine qui l'a engendrée, et elle perpétue la haine.

Les Germains n'ont pas réduit la population gauloise en servitude. Ils n'étaient à son égard ni des vainqueurs ni des maîtres. Comme ils ne s'étaient pas présentés en ennemis, qu'ils avaient affecté d'être les soldats de l'empire romain et que, sans jamais attaquer ouvertement cet empire, ils ne s'étaient battus qu'entre eux, ils ne pouvaient pas même avoir la pensée d'asservir la population indigène (Histoire des institutions politiques, p.449-452).

 

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