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§ 46. La composition. Ce procédé de formation, quoique moins pro­ductif que la dérivation affixale. Occupe une place importante dans le système formatif du français d'aujourd'hui.

La composition est interprétée de façon différente en linguistique.

Selon une conception très répandue un mot composé en français n "est pas seulement celui qui est formé par l'adjonction de bases différentes comme, par exemple, en russe «пароход, самолет». mais n'importe quelle expression qui présente un groupement constant et usuel expri­mant une notion, un seul concept. C'est pourquoi les locutions telles que chemin de fer, boîte aux lettres, pomme de terre, etc.. sont traitées com­me de mots composés.

Dans la linguistique russe cette opinion simpliste sur le mot a été contestée : si chaque mot exprime effectivement une notion, un concept, il serait abusif d'affirmer que n'importe quelle expression ou locution exprimant une notion serait un mot. Selon l'académicien V. V. Vinogra-dov les groupes tels que chemin de fer, salle à manger, avoir envie (hâte, horreur, peur, pitié, etc.), chercher querelle, donner congé ne sont guère des mots composés, mais tantôt des unités phraséologiques, qui par leurs fonctions sont souvent des équivalents de mots, tantôt des groupes de mots libres [30, c. 210].

Il a été signalé précédemment1 que le professeur A.I. Smirnitsky avan­çait le critère de l'intégrité formelle permettant de distinguer les mots composés des groupes de mots. Dans chaque langue l'intégrité formelle revêt un caractère particulier. A.I. Smirnitsky a mis l'accent sur l'intégri­té morphologique des mots.

Pour le français l'intégrité formelle doit être comprise avant tout com­me l'absence de rapports syntaxiques entre les composants d'un vocable qui grammaticalement et phonétiquement fonctionne comme un tout indi­visible. Tant qu'il existe un rapport syntaxique vivant entre les éléments d'une formation on ne peut parler de mot. Quant à l'écriture liée des mots (la présence d'un trait d'union), elle n'est qu'un indice accessoire, l'or­thographe française étant conventionnelle.

Il en est ainsi pour les formations du type timbre-poste qui sont qua-lifiées de mots composés par les linguistes français. Ici, les rapports syn-taxiques sont les mêmes que dans les groupes de mots libres qui surgissent en abondance dans la parole, tels valise avion, climat festival, début janvier,fm décembre, etc. En conséquence, timbre-poste ne saurait être con­sidéré avec raison comme un mot composé, il devrait être traité de groupe de mots usuel. Il en va de même pour les néologismes tels que allocation-logement, crayon-feutre, assurance-maladie ou ville-dortoir, café-bar, école-pilote, homme-grenouille, mot-valise.

Par contre, il arrive que les éléments d'un vocable semblent présen­ter un rapport syntaxique vivant et toutefois ce vocable doit être qualifié de mot composé. Qu'est-ce qui nous y autorise ? C'est parfois la non-conformité de sa structure morphologique à celle du groupe de mots cor­respondant. Dans gendarme on rétablit aisément gens d'arme(s). Cependant gens d'arme(s) est le pluriel de homme d'arme, alors qu'on dira tout aussi bien un gendarme que des gendarmes.

Même là où autrefois on avait un groupe de mots on peut se trouver aujourd'hui en présence d'un mot composé dont les éléments n'offrent plus de rapport syntaxique. Tel est le cas de rouge-gorge.Les rapports syntaxiques qui existaient dans l'ancien français entre les éléments de cette formation ne correspondent plus à ceux du français moderne ; cela signifie qu'il n'y a plus aujourd'hui de rapport syntaxique à l'intérieur de ce vocable qui est devenu à la suite de son développement historique un mot composé. Le s que l'élémentrouge prend au pluriel (rouges-gorges) n'est point la marque d'un rapport syntaxique actuel, mais rien autre qu'un vestige de l'ancien rapport syntaxique conservé par l'ortho­graphe traditionnelle et retardataire. Les vocables du type derouge-gor­ge, rond-point, grand-ruedoivent être traités de nos jours de mots composés formés par l'adjonction pure et simple de bases normatives différentes.

Parfois c'est la non-conformité du fonctionnement syntaxique du mot composé à celui des éléments du groupe de mots correspondant. Un qu 'en dira-t-on, un sans- le-sou, le trop-plein (de l'âme), un prêt-à-porter fonc­tionnent comme des substantifs quoique souvent il n'y ait même pas un seul substantif parmi leurs composants.

C'est aussi la non-conformité de la prononciation des éléments d'un mot composé à celle du groupe de mots correspondant. Tels sont les cas de vinaigre, béjaune (cf. à la prononciation de vin aigre, bec jaune).

La disparition d'un rapport syntaxique ancien à l'intérieur d'un vo­cable a souvent pour conséquence que ce dernier constitue un modèle de formation pour la création d'autres mots composés.

La composition est surtout caractéristique des noms.

Passons en revue les types essentiels de mots composés dans le fran­çais moderne.

Les mots composés qui ont été originairement formés à l'aide de plusieurs bases formatives : microscope, galvanomètre, bibliophile, gy­rophare, téléscaphe : les bases formatives de certains de ces composés sont reliées par les voyelles-copules -o- et -i-. hydroplane, phonographe, magnétophone, fî/moscope, technocrate, tyrannicide ; franco-russe, russophile, politico-économique, vermivore, fébrifuge, horticulture.

La plupart de ces composés sont des formations savantes créées et employées dans l'une ou l'autre terminologie spéciale. Pourtant il ne faut pas en conclure que les créations de ce genre restent àjamais confi­nées dans la terminologie. Avec la vulgarisation des réalisations techni­ques et scientifiques, tout comme les autres mots savants, elles pénètrent dans la langue commune. Même des créations récentes telles que cosmo­naute, cosmodrome, gazoduc, discophile sont devenues d'un usage cou­rant.

La présence dans ces composés d'éléments latins et grecs leur confè­re souvent une portée internationale.

Par contre les autres types de mots composés sont des créations po­pulaires d'un large emploi.

Tels les substantifs composés dont le premier élément est étymologi-quement un verbe transitif (à l'impératif, conçu plus tard comme la 3' personne du singulier du présent), le second - un substantif, exprimant le régime de l'action : hochequeue, presse-purée, presse-papier, monte-char­ge, porte-clefs, tire-bouchon, porte-plume, garde-robe, passe-thé, gagne-pain, hochequeue, perce-neige, brise-glace, couvre-chef, passe-temps, couvre-lit, coupe-ongles, passe-montagne, vide-ordures, épluche-légumes, pèse-personne, porte-savon, sèche-cheveux.

L'absence de l'article devant le substantif nous autorise à qualifier ces formations de mots composés (cf. : aux groupes de mots libres correspon­dants : il tire le bouchon, il passe le temps, etc.).

Ce procédé de formation est particulièrement fécond en français con­temporain. Parmi les formations récentes nommons : lave-linge, lave-gla­ce, lave-vaisselle, porte-bébé, porte-aéronefs, remue-méninges.

Il est à signaler que dans l'ancien français certaines formations de ce genre étaient créées à l'aide d'un verbe accompagné non seulement d'un complément direct, mais aussi d'un complément indirect ou circonstan­ciel Le français moderne a conservé des traces de cet ancien procédé de formation dans les verbes composés tels que colporter - « porter sur le cou », saupoudrer- « poudrer avec du sel “,fervêtir- «обть железом». « vêtir de fer ». maintenir- « tenir en main ». etc. Aujourd'hui ce modèle de formation a perdu sa vitalité.

Les autres types de composés sont moins productifs. Ce peuvent être des composés représentant des substantifs formés à l'origine d'un subs­tantif et d'un adjectif dont l'ordre réciproque est archaïque : rouge-gorge, rouge-queue «горихвостка». blanc-bec, blanc-manger, rouge-barbet -«султанка (рыба) »

Un groupe semblable de composés comprend des adjectifs formés his­toriquement d'un participe précédé d'un adverbe : bienveillant, bienséant, maldisant, malfamé.

Un autre type de composés correspond à un substantif précédé d'une préposition ou d'un adverbe : avant-scène, après-dîner, contrepoison, presqu'île, etc. L'absence de l'article devant le substantif est l'indice de l'appartenance de ces formations aux mots composés (cf aux groupes de mots libres correspondants : avant la scène, après le dîner, etc.).

Tels sont les principaux modèles des mots composés. La plupart d'entre eux remontent historiquement à une construction syntaxique. Pour­tant à l'époque actuelle rien ne révèle plus cette construction syntaxique devenue un archaïsme. Il est notoire qu'un grand nombre de ces forma­tions n'ont jamais été conçues comme étant des constructions syntaxi­ques, étant créées spontanément sur les modèles existants : brise-glace, gratte-ciel, chasse-neige. Dans le français moderne tous ces types de com­posés peuvent être considérés comme étant directement formés par la simple adjonction de bases formatives différentes.

§ 47. Le télescopage. Par ce procédé on forme des mots issus de la fusion de deux mots exprimant des notions contiguës [23, p. 245-248J. Ainsi, sur le modèle de motel > mo[tor (car)] + [hô]tel - formation anglo-américaine - on a créé en français aquatel- « hôtel flottant qui se déplace sur l'eau » de aqua[tique] et [hô]tel. Ces formations sont très en vogue à l'heure actuelle. Citons, entre autres, cybernation de cybern[étique] et [autom]ation, télésiège de télé[férique] et siège, altiport - « petit aéro­drome qui dessert une station de montagne » de alti[tude] et port, diathèque de dia[positive] et -thèque. eurovision de euro[péen] et [télé]vision, franglais de fran[çais] et [an]glais, panlacourt de panta[lon] et court, restaurante de restau[rant] et route, universiade - « compétition sporti­ve internationale entre équipes universitaires » de univers[ité] et [olymp]iade, vertiport de verti[cal] et [air-]port - « terrain destiné à l'atterrissage et au décollage des hélicoptères et des avions à décollage court »,futurible de futur et [poss]ible, synonyme de futurologue.

Ce procédé économique et baroque à la fois est utilisé, d'une part, dans la publicité et dans certaines terminologies, et de l'autre, dans le langage parlé familier où il sert à fabriquer des mots plaisants comme applaudimètredeapplaudi[ssements]etmètre,copocléphile deco[lleclionneur],depo[rte]-cléetphile,gastronomadedegastro[nome]etnomade.

§ 48. L'abréviation. Le français parlé qui de tout temps a répugné aux mots trop longs continue à les abréger, surtout lorsque l'aspect en révèle l'origine savante. Cette tendance à l'abréviation s'est considéra­blement accrue depuis la fin du XIXe siècle.

On distingue différents types d'abréviations. Parmi les plus fréquen­tes sont les troncatures telles que amphi[théâtre] - « salle de cours ». auto[mobile], cyclo [moteur], baro[mètre], dactylo [graphe], kilogram­me], loco [motive], métropolitain], micro[pnone], phono[graphe], photo [graphe], polio [myélite], stéréo [phonique], télévision] (f), télé-[viseur] (m), taxi[mètre], vidéo[phonie] qu'on forme en laissant tomber le deuxième élément d'un mot composé. Ces formations apparues dans le parler du peuple de Paris pénètrent de plus en plus dans la langue littérai­re.

Ce mouvement est allé encore plus loin : on rejette une ou plusieurs dernières syllabes sans se soucier de ce que ces syllabes représentent ou non un morphème. L'abréviation s'effectue même lorsque les syllabes retranchées paraissent être indissolublement liées au corps même du mot af[faire], anar[ chiste], accu[mulateur], bac[calauréat], collabo[rationniste], aéb[utante]- « jeune fille qui débute dans la vie mondaine ». puis « très jeune fille ». édito[rial], écolo[giste], fac[ulté], fortif[ication], imper[méable], labo[ratoire], lino[léum], manif[estation], para[chutiste], philo[sophie], réac[tionnaire], sana[torium], frigo[rifique], hebdo[madaire], provo[cateur,-cation], pub[licite], rétro[grade], réac[tionnaire], l'Huma[nité] et même Saint-Êx (Saint-Exupéry).

Parfois on remplace ces syllabes retranchées par un -o final qui re­présente un pseudo-suffixe populaire : anarcho < anarchiste, apéro < apéritif, camaro < camarade, convalo < convalescent, mécano < mécani­cien, métallo < métallurgiste, Montparno < Montparnasse, pharmaco < pharmacien, populo < populaire, prolo < prolétaire, proprio < proprié­taire.

Généralement on réduit le mot par l'ablation des syllabes finales (ap o -cope), toutefois l'ablation des syllabes initiales (aphérè se) est possi­ble : pitaine < capitaine, cipal < (garde) municipal, Ricain < Américain : signalons aussi chandail formé de marchand d'ail.

Un tout autre type d'abréviations est représenté par les sigles, c'est-à-dire des mots formés par la prononciation des lettres ou des syllabes initiales des composants de quelque locution, par exemple : C.G.T. -« Confédération générale du travail », P.C.F. - « Parti communiste fran­çais ». O.N.U. - « Organisation des nations unies ». P.N.B. - « Produit national brut », R.E.R. - « Réseau Express Régional ». R. T.F. - « Radio­diffusion -télévision française ». S.N.C.F. - « Société nationale des che­mins de fer français », I. G.A.M ou igame - « Inspecteur général en mission extraordinaire », Z.U.P. - « Zone à urbaniser en priorité ». D.C.A. -« Défense contre avions ». T.G. V. - «Train à grande vitesse ». E.N.A. -« École nationale d'administration », C.A.P.E.S. - « Certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement secondaire. D.E. U.G. - «Diplôme d'étu­des universitaires générales » qui sanctionne le premier cycle de l'ensei­gnement supérieur en France : BD - « Bande dessinée ». GR - « (sentier de) Grande randonnée », OVNI - « Objet volant non identifié », HLM-« Habitation à loyer modéré ». PDG - « Président - directeur général ». S.F. - « Science-fiction ». ORL - « Oto-rhino-laryngologue ». Bénélux -Belgique. Néerlande (Pays-Bas). Luxembourg. TOM - « Territoires d'Outre-Mer ».

Les abréviations de ce genre sont généralement des tenues diffé­rents. La vitalité de certaines de ces formations se manifeste par le fait qu'elles servent de base à de nouvelles créations, par exemple : cégétiste - « membre de la C.G.T. », igamie - « circonscription comprenant plu­sieurs départements et administrée par un igame », onusien - « membre de l'O.N.U. », zupéen, -ne - « habitant d'une Zup », énarque - « ancien élève de l'E.N.A », capésien - « étudiant, professeur titulaire du C.A.P.E.S. ».

La création de sigles est une des tendances les plus accusées du fran­çais actuel qui s'est surtout manifestée à partir de la deuxième moitié du XXe siècle. Il arrive que les sigles deviennent un handicap au cas où l'on doit les décoder. Nous citerons à l'appui les paroles de G. Molinié : « Une institution à siglaison étrangère comme l'UNESCO verra peu d'indivi­dus capables de développer en clair l'énumération des mots dont on a la suite d'initiales : United Nations Educational Scientific andCultural Or­ganisation, ce qui n'empêche pas, ajoute-t-il, de savoir très bien (c'est-à-dire très en gros) de quoi on parle » [31, p.55].

Ce n'est qu'avec une certaine réserve qu'on peut ranger l'abrévia­tion parmi les procédés de formation. Par l'abréviation on ne forme pas tant des mots nouveaux que des variantes, généralement des variantes stylistiques de mots existants. Si métro, auto, cinéma, stylo, dactylo ont effectivement enrichi le français en triomphant de leurs formes complètes initiales, prof, récré, perme, colon, expo ne sont que des variantes stylis­tiques de professeur, récréation, permission, colonel, exposition. Il en est de même pour les sigles qui présentent « les doubles » des locutions correspondantes.

Les défenseurs du bon style s'opposent à l'emploi abusif de l'abré­viation1 surtout lorsqu'on mutile des mots authentiquement français d'un emploi commun qui ont subi l'épreuve du temps (cf. : colon - pour « co­lonel », couverte pour « couverture »

§ 49. Le redoublement et la déformation des mots. Tout com­me l'abréviation le redoublement et la déformation mènent avant tout à l'apparition de variantes de mots déjà existants et non point à la création de nouvelles unités lexicales. Les unités formées par redoublement (l'élé­ment redoublé peut être une syllabe et même un son) reçoivent générale­ment des nuances mélioratives et familières. Tels sont, entre autres, fifils pour «fils », pépère ou pépé pour « grand-père », mémère ou même -« grand-mère », tata, tati(e) - « tante », tonton - « oncle », nounou -« nourrice » ; pour « fille » on dira fifille qui peut pourtant prendre aussi une nuance ironique (la fifille à papa).

Le redoublement est typique des prénoms : Mimile, Juju, Titine -pour Emile, Julie, Augustine.

La déformation s'effectue par des procédés divers dont la pseudo­suffixation argotique, le verlan, Pargonji. Elle peut être illustrée par : boutanche - « bouteille »,fastoche - « facile », dodo - « clochard », valdingue - « valise », cuistance - « cuisine ». Dans tous ces cas il y a effectivement variantes du fait que les modifications de l'unité n'affec­tent pas la notion qui est le noyau de la signification, mais portent uni­quement sur les valeurs connotatives. Toutefois si la modification d'un mot s'accompagne d'un changement plus radical, précisément de la no­tion ou de la classe grammaticale, on devra constater l'apparition d'un mot nouveau. Ainsi pour roudoudou, désignant une sorte de confiserie, l'influence de doux qui était à l'origine de sa formation n'est plus sentie, burlain n'est pas un bureau, mais un employé de bureau, relou qui est une déformation de lourd a pris le sens de « ennuyeux » (cf. : rem, qui étant formé par le même procédé de mère, en est une variante).

Les variantes et les mots formés par la déformation pullulent dans le langage populaire et l'argot qui utilisent largement les vocables de la langue commune.

§ 50. L'onomatopée. Par l'onomatopée, signifiant proprement « for­mation de mots », on appelle à présent la création de mots qui par leur aspect phonique sont des imitations plus ou moins proches, toujours conventionnelles, des cris d'animaux ou des bruits différents, par exem­ple : cricri, crincrin, coucou, miaou, coquerico, ronron, glouglou, frou­frou.

Ce procédé de formation offre une particularité par le fait qu'il s'ap­puie sur une motivation naturelle ou phonique qui s'oppose à la motivation intralinguistique caractéristique de tous les autres procédés de forma­tion.

L'onomatopée est d'une productivité restreinte, ce qui s'explique en particulier par le caractère relativement réduit des sons perceptibles par l'oreille humaine. Signalons pourtant les créations récentes : bang [bâg] -« bruit produit par un avion supersonique », glop - « bruit ressem­blant à un cœur qui bat », yé-yé - formé par imitation du refrain d'une chanson américaine (de « yeah . . . yeah », altération de « yes »), blabla-(bla) employé familièrement pour « bavardage, verbiage sans intérêt ». boum - « bruit sonore de ce qui tombe ou explose, baraboum ! imitant un bruit de chute, bim ! et bing ! qui évoquent un coup.

§ 51. Les difficultés de l'analyse formative. Il est important de ne pas confondre l'analyse formative avec l'analyse morphémique. L'analy­se morphémique vise à déceler la quantité et la qualité des morphèmes constituant un mot (a-lun-iss-age), autrement dit, elle permet d'en établir la composition morphémique. L'analyse formative met en évidence l'or­ganisation des morphèmes d'un mot conformément à un modèle de for­mation, elle en révèle la structure formative (aluniss-age). Ces deux types d'analyse se trouvent dans une certaine interdépendance et constituent des variantes de l'analyse morphologique.

À une époque donnée l'analyse formative des mots s'effectue géné­ralement sans encombre ; leurs éléments constitutifs se laissent aisément dégager. Tels sont les cas de patriotisme, activité, gratte-ciel. Où est la cause de cette facilité avec laquelle ces mots se laissent décomposer ? Si l'on examine le dérivé activité on s'aperçoit que ses éléments constitutifs se retrouvent avec la même valeur sémantique dans d'autres mots, activ-dans actif(-ve). activement, activiste, -ité dans suavité, agilité, vénali­té. Il en est de même pour patriotisme et gratte-ciel La présence des éléments constitutifs d'un mot dans d'autres mots avec la même valeur sémantique est la condition nécessaire qui en permet l'analyse morpholo­gique et formative.

Toutefois à des époques différentes le même mot se prête à un degré différent à l'analyse formative : un mot qui originairement était dérivé ou composé peut devenir au cours de son développement un mot-racine, ou autrement dit, un mot simple. Ce processus ne s'effectue pas d'un coup, brusquement, mais graduellement, par étape. Un mot simple envisagé dans son sens propre est un mot immotivé dont les éléments qui le composaient à l'origine ne se laissent plus dégager. Pourtant des cas intermédiaires, transitoires où le mot est partiellement motivé se pré­sentent lorsqu'un des éléments peut être encore isolé, tandis que l'autre ne se dégage plus. Ce sont les cas de soleil, montagne dont seule la base formative se laisse vraiment dégager (cf. : solaire - inso­lation ; mont - ïnontueux), tandis que -eil, -agne ne peuvent plus être considérés comme de véritables suffixes. Des cas analogues se présen­tent dans secrétaire, ovation où seul le suffixe se dégage encore (-aire, désignant l'homme -.fonctionnaire, antiquaire ; -ation exprimant l'action : organisation, protestation).

Les causes de la transformation d'un mot composé ou dérivé en un mot simple sont bien diverses. Ce peuvent être :

- le changement du sens d'un mot ; ainsi,panier, grenier, barricade, pommade ne se rattachent plus à pain, grain, barrique, pomme ;

- l'effacement de l'image que le mot évoquait originairement com­me dans -.prunelle, chenet, venelle, chevalet, plafond où la comparaison à uns petite prune, à un petit chien, etc., ne se perçoit plus ;

- la déviation de l'aspect phonique du mot dérivé ou composé de celui du mot générateur, par exemple, courage, cf. : cœur ; bocage, cf. : bois ;

- la disparition du mot générateur, par exemple, ordure, cf. : a.fr. ord-« sale, sordide » ; orage, cf. : a.fr. ore - « vent » ; taudis, cf. : a.fr. (se) tauder - « (s') abriter », balafre de l'a.fr. leffre - « (grosse) lèvre ».

A ce processus morphologique qu'on pourrait conventionnellement qualifier de « simplification » du mot s'oppose le processus qui est connu dans la linguistique française sous le terme d'« irradiation » (ter­me introduit par M. Bréal) et dans la linguistique russe sous le terme de « décomposition » - «pa3.no>KeHne». D'après E. Pichon, ce processus consiste en ce qu'un fragment de vocable peut se trouver «...porteur d'une charge sémantique qu'il ne tenait point du tout de sa constitution phonétique primitive, mais du sens total du vocable dont il venait de se détacher. »'.

Ainsi le pronom latin omnis à la forme du datif pluriel omnibus a pris dans la langue française le sens de « voiture pour tous ». Plus tard ce sens s'est concentré uniquement dans la désinence -bus qui avec cette valeur nouvelle s'est ajoutée à un autre élément latin auto- et a formé autobus avec le sens de « voiture automobile pour tous ». Dès ce mo­ment l'ancienne désinence -bus a acquis la valeur d'un élément forma­teur. Parmi les formations récentes avec cet élément signalons aérobus, électrobits, bibliobus. Le suffixe populaire -pin que l'on trouve dans auverpin - « auvergnois » est apparu par une voie analogue ; il s'est dégagé des mots tels que calepin, clampin. C'est à la suite de la décom­position que sont apparus les suffixes -tron, -on (de électron), -rama (de panorama).

Signalons encore un processus morphologique appelé « recomposi­tion » - «переразложение» dans la linguistique russe, et qui consiste en ce que la répartition des éléments formateurs devient autre qu'elle ne l'était originairement. L'étymologie nous fait connaître que vilenie dérive de vi­lain. Cependant dans le français d'aujourd'hui « une vilenie » n'est rien autre qu" « un acte vil » ; donc, il serait plus juste de dégager le suffixe -enie et non plus -ie. Le suffixe -erie qui a formé les mots populaires mairerie, jalouserie est aussi le résultat de la recomposition de la structure formative des mots du type de chevalerie ; au lieu d'être décomposé en chevaler-ie on l'a interprété comme cheval-erie.

Ainsi, vu à travers l'histoire et à l'état présent, le même mot peut offrir un décalage quant à sa structure formative. Au cours du temps un mot qui a été réellement créé peut se simplifier et, inversement, un mot qui était simple laisse parfois entrevoir une structure complexe.

La séparation de ces deux plans nécessite une séparation terminologi­que. Il serait juste de distinguer dans la perspective diachronique les mots créés et non-créés et dans la perspective synchronique les mots construits et non-construits.

Les mots créés le sont effectivement d'après les modèles de formation propres à une langue à des époques différentes. Parmi les mots non-créés il faudrait ranger ceux du fonds primitif (pour le français ce seront les mots du latin populaire, les mots d'origine celtique et germanique qui ont servi de base au développement ultérieur de son vocabulaire) et les em­prunts faits aux autres langues.

Les mots construits ne sont pas nécessairement créés, il suffit qu'ils aient une structure conforme à un modèle de formation vivant à une épo­que donnée (éventuellement à l'époque actuelle). L'analyse formative des mots effectuée sur les plans différents fait voir avec évidence qu'un mot historiquement créé peut être non-construit à l'heure actuelle, et. au con­traire, un mot non-créé doit être traité à présent de construit. Le français contemporain compte un grand nombre de mots construits parmi les em­prunts, ce qui est dû à la similitude de leur structure formative avec celle des mots de souche française : ainsi éducation, énumération, égalité, do­cilité, légionnaire pris au latin, cavalerie, chevaleresque venus de l'ita­lien ou embarcation de l'espagnol se laissent interpréter comme des suffixes et sont, par conséquent, construits.

II n'en reste pas moins vrai qu'une grande partie des emprunts à structure complexe dans la langue d'origine se prête difficilement à l`ana­lyse en français. Tels sont les anglicismes cocktail, drugstore. « magasin où l'on vend divers produits », check-up - « examen médical complet » qui se rangent parmi les mots non-constmits en raison de leur structure formative insolite, foncièrement différente de celle des mots français. Donc. en procédant à l'analyse fomiative il est important de faire la distinction entre le plan diachronique et le plan synchronique.

L'analyse fomiative peut être malaisée du fait qu'il n'y a pas de limi­te strictes entre les divers procédés de formation. Ceci est surtout vrai pour la distinction entre certaines formations affixales et composées ce qui explique les hésitations que suscite l'interprétation de cas tels que sous-extimer, maladroit qui, dans les ouvrages différents sont présentés tantôt comme des mots composés, tantôt comme des affixés.

Selon l'opinion de certains linguistes russes un mot construit est com­posé si ses éléments constitutifs se laissent ramener à un groupe de mots significatifs. En effet, tire-bouchon est bien un mot composé puisqu' il peut être défini comme « un objet servant à tirer un bouchon » ; par contre. chênaie, ne pouvant être transformé en un groupe de mots, est un dérivé affixal

Envisagées sous cet angle les formations du type sous-estimer ou du type maladroit doivent être classées parmi les mots affixés. précisément, les préfixés, alors que maltraiter (= traiter mal qn) et sous-vêtement (= vêtement porté sous un autre vêtement) sont des composés.

Lorsqu'on procède à l'analyse formative du mot on doittcnir compte de l'existence en français contemporain de deux bases essentielles de for­mation qualifiées conventionnellement de « populaire » et de « savante ». La formation populaire se fait à partir de vocables de souche française (richesse < riche, encadrer < cadre). La formation savante fait appel aux mots ou radicaux latins ou grecs qui servent de bases formatives aux mots français (oculaire, oculiste < du lat. : oculus - « œil » : hépatite, hépati­que, hépatologie < du gr. : hêpar. hêpatos - « foie ».)

Il est souvent impossible dans le français contemporain de ramener les mots de formation savante à un mot générateur indépendant. Alors leurs éléments constitutifs se dégagent uniquement les uns par rapport aux autres. Il en est ainsi pour bellicisme, belliciste, belliqueux dont l'élément belli- n'apparaît qu'à l'intérieur d'un mot et n'existe pas par lui-même Même dans le cas où la famille de mots de formation savante trouve un appui sémantique dans un mot étymologiquement apparenté de souche française la dissemblance formelle des premiers avec le dernier ne permet pas toujours d'établir une filiation entre eux dans la synchronie

Ainsi oculaire, oculiste ne sauraient être analysés en fonction de œil. de imême que lecture, lecteur à partir de lire. Les mots lecture, d'une part, et lire, de l'autre, tout comme oculiste et œil font partie de familles for-matives différentes quoique sémantiquement associées. Cette séparation formelle de mots sémantiquement apparentés et qui demeure souvent lors­que ces mots remontent à la même source étymologique est considérée d'ordinaire comme un obstacle à l'analyse des mots en éléments forma­teurs. Pourtant le démembrement des mots de formation savante ne sus­cite pas de grandes difficultés à condition d'assigner aux bases formatives liées les mêmes droits qu'aux bases formatives libres.

En effet, les mots de formation savante se prêtent facilement à l'ana­lyse s'ils constituent dans le vocabulaire du français moderne une famille de mots bien nette'(cf. : aqueux, aquatique, aqueduc, aquarium emprun­tés au latin et complétés par aquarelle venu de l'italien).

Signalons toutefois que la nature de certains éléments formateurs liés, d'origine latine et grecque, suscite des discussions : ils sont tantôt traités de bases formatives (éventuellement d'éléments de mots composés) et tantôt d'affixes. On peut affirmer que ceuxd'entre eux qui constituent des séries de nombreuses formations et dont la position initiale ou finale est de rigueur se rapprochent par leur fonctionnement des affixés jusqu'à s'identifier avec eux. Ainsi, nous avons qualifié -logue de suffixe et hyper-, super- de pré­fixes étant donné leur fréquence, leur position stable à F intérieur des mots et leur sens quasi catégoriel (cf. aux éléments naut- / -na-ute, hydr- / -hydre qui, vu leur position alternative, doivent être qualifiés de bases for­matives : nautique, nautile, nautisme / aéronaute, aquanaute, cosmo­naute : hyc/rique, hydrophile, hydrophobe / anhydre, clepshydre).

Non seulement les éléments formateurs de type différent - bases for­matives et affixés - prêtent parfois à confusion, mais ces derniers ne sont pas toujours nettement séparables des mots indépendants. Nous avons déjà constaté que la démarcation entre mots composés et groupes de mots sou­levait un problème. Un problème analogue se pose pour certaines formes qui étant des mots, d'une part, acquièrent des traits propres aux affixés, de l'autre. Il en est ainsi de -clé,

-pilote, -fleuve, (-)pirate dans concept-clé, mot-clé, position-clé, question-clé, homme-clé, témoin-clé ; classe-pilo­te, ferme-pilote, industrie-pilote ; roman-fleuve, discours-fleuve, rapport-fleuve : édition-pirate, émission-pirate, entreprise-pirate. En raison de leur signification généralisante qui les éloigne de leurs prototypes, leur faculté de former des séries ouvertes de formations analogues, ces élé­ments semblent s'apparenter aux suffixes parleur fonctionnement. J. Dubois a rangé sans restriction les éléments -clé et -pilote et certains autres parmi les suffixes (voir dans : [32, p. 71]).

II est à noter qu'il reste encore fort à faire pour mettre au point les principes de l'analyse fonnative.

§ 52. Les limites linguistiques de la formation des mots. L'exa­men des divers procédés de formation nous'permet de constater la grande productivité de certains d'entre eux à côté de la faible productivité ou l'improductivité totale des autres.

Des procédés fort productifs à une époque éloignée ont perdu plus tard leur faculté créatrice. Cependant à l'époque où ils étaient en pleine vigueur ils ont servi à former des dérivés dont beaucoup sont devenus d'un emploi commun. Ces dérivés anciens se sont si profondément in­crustés dans le vocabulaire de la langue française qu'ils sont parvenus jusqu'à nous sans être évincés, ni même souvent concurrencés par des dérivés créés sur des modèles de formation plus récents. En effet, la lan­gue a conservé comparaison et faiblesse sans se laisser imposer compa­rution, faiblité qui auraient pu être formés.

Certains éléments formateurs, jadis productifs, ont été évincés par leurs rivaux plus favorisés. C'est ainsi que les suffixes -aison, -ie ont été supplantés par -ation, -erie.

La productivité des procédés de fonnation. même les plus féconds, peut être limitée par l'emploi plus ou moins restreint des mots créés par ces procédés. Tel est le cas du suffixe -âge conférant l'idée de l'action et servant à créer à l'heure actuelle surtout des ternies techniques. La pro­ductivité du suffixe -ation se borne aujourd'hui presque exclusivement à la formation de termes à valeur sociale et politique.

Toutefois la productivité d'un élément formateur peut être entravée non seulement par des facteurs intralinguistiques, mais aussi bien par des facteurs extralinguistiques. La quantité des dérivés avec -ite désignant la perturbation d'un organe à la suite d'une inflammation (bronchite, cysti­te, sinusite) est limitée surtout pour des causes extérieures à la langue. Il en est de même pour le suffixe -aie dont le nombre des dérivés (chênaie, cerisaie) ne peut dépasser le nombre d'arbres et de fruits existants.

CHAPITRE III

LA FORMATION DES LOCUTIONS PHRASÉOLOGIQUES

§ 53. Notions préalables. Les locutions phraséologiques sont des unités lexicales qui par leur fonctionnement se rapprochent souvent des mots ce qui permet d'envisager leur création à côté de la formation des mots.

Le premier examen approfondi de la phraséologie française a été entrepris parle linguiste suisse Charles Bally. A. Sechehaye. J. Marou-zeau soulèvent aussi certaines questions ayant trait à la phraséologie fran­çaise.

Parmi les linguistes russes il faut nommer en premier lieu V. V. Vino-gradov [33] dont l'apport à l'étude de la phraséologie est inestimable.

La phraséologie étudie des agencements de mots particuliers. En se combinant dans la parole, les mots forment deux types d'agencements es­sentiellement différents. Ce sont, d'une part, des groupements de mots in­dividuels, passagers et instables ; les liens entre les composants de ces groupements se rompent sitôt après leur formation et les mots constituant le groupe recouvrent la pleine liberté de s'agencer avec d'autres mots. Ces groupements de mots se forment au moment même du discours et dépendent exclusivement de l'idée que le locuteur tient à exprimer. Ce sont des groupements tels que : un travail mannel, un travail intellec­tuel, une bonne action, une mauvaise action, compliquer un problè­me, simplifier un processus.

Ce sont, d'autre part, des agencements dont les mots-composants ont perdu leur liberté d'emploi et fonnent une locution stable. Ces locu­tions expriment souvent une seule idée, une image unique et n'ont un sens que dans leur unité. Les locutions stables ne sont point créées au moment du discours ; tout au contraire, elles sont reproduites comme telles intégra­lement, comme étant formées d'avance.

Ch. Bally. qui le premier a insisté sur la distinction de ces deux types d'agencements de mots, signale qu' « ...entre ces deux extrêmes (les grou­pements libres et les locutions stables - N.L.) il y a place pour une foule de cas intermédiaires-qui ne se laissent ni préciser, ni classer » [34. p. 68].

Les locutions phraséologiques. à leur tour, diffèrent par le degré de leur stabilité et de leur cohésion Ch. Bally distingue deux types essentiels de locutions phraséologiques : il nomme unités celles dont la cohé­sion est absolue et séries celles dont la cohésion n'est que relative. Ainsi bon sens dans le bon sens suffit pour montrer l'absurdité d'une pareille entreprise représente une unité phraséologique ; grièvement blessé,grièvement ne peut être employé qu'avec blessé, forme une série phra­séologique.

Les linguistes russes ont élaboré plusieurs classifications des locu­tions phraséologiques reposant sur des principes différents. Celle de V.V. Vinogradov, malgré les quelques insuffisances qu'on lui impute, peut être qualifiée de classique. Elle a inspiré la plupart des phraséolo-gues russes.

La description des locutions adoptée dans le présent ouvrage repose sur les principes essentiels avancés par V.V. Vinogradov, vu leur réper­cussion sur les diverses théories phraséologiques. Sa classification des locutions phraséologiques est plus complète que celle de Ch. Bally. V.V. Vinogradov distingue les locutions phraséologiques suivantes : les locutions soudées, les ensembles et les combinaisons phraséologiques. Les deux premiers types de locutions constituent un groupe synthétique, le dernier type représente un groupe analytique.

À l'heure actuelle l'intérêt porté aux problèmes de la phraséologie ne cesse de croître. Il serait juste de dire que la phraséologie demeure jus­qu'à présent un des domaines de la linguistique qui soulèvent le plus de discussions. C'est la question des limites de la phraséologie qui est partw culièrement controversée. Des critères variés visant à faire le départ entret les locutions phraséologiques et les groupements de mots libres sont pro4 posés. Ce sont, entre autres, l'intégrité nominative, l'équivalence au mot, la valeur imagée, le caractère idiomatique, la stabilité, la reproductivité intégrale dans la parole. En s'appuyant sur l'un ou l'autre de ces princi­pes tantôt on resserre, tantôt on élargit les frontières de la phraséologie. Ainsi en partant de l'équivalence au mot on élimine de la phraséologie les agencements liés tels que remporter une victoire ou hausser les épau­les qui, n'étant pas non plus des groupements libres, doivent être quali­fiés de catégorie particulière. Par contre, si on part de la stabilité de l'emploi des mots entre eux on élargit outre mesure les frontières de la phraséolo­gie car la stabilité d'emploi caractérise également un certain nombre d'agencements libres qui reflètent des liens constants et naturels des objets et phénomènes de la réalité (cf. : un paysage pittoresque, lugubre, etc. ; esquisser, ébaucher un paysage, etc.).

Ici la phraséologie sera traitée comme l'étude des locutions stables, dont la stabilité est uniquement fonction de facteurs linguistiques, ce qui revient à dire qu'elle englobe tous les agencements de mots dont les com­posants ne sont pas associés librement, conformément à leur contenu sé­mantique, mais selon l'usage.

§ 54. Les principes de classification. Tout comme le mot la locu­tion phraséologique est un phénomène excessivement complexe qui se prête à une étude multilatérale. De là les difficultés qui se présentent lorsqu'on aborde la classification des locutions phraséologiques qui pour­raient être groupées à partir de principes divers reflétant leurs nombreu­ses caractéristiques. Ainsi d'après le degré de la motivation on distinguerait les locutions immotivées (n 'avoir pas froid aux yeux - « avoir de l'éner­gie, du courage »), sémantiquement motivés (rire du bout des lèvres -« sans en avoir envie ») et les locutions à sens littéral (livrer une bataille, se rompre le cou). Conformément à leurs fonctions communicatives on pourrait dégager les locutions à valeur intellectuelle (salle à manger, le bon sens, au bout du compte), à valeur logico-émotionnelle (droit comme une faucille - « tordu », ses cheveux frisent comme des chandelles -«elle (il) a des cheveux plats »), à valeur affective (Flûte alors ! - qui marque le dépit.) Le fonctionnement syntaxique distinct des locutions phraséolo­giques permet de les qualifier d'équivalents de mots (pomme de terre, tout de suite, sans cesse), de groupements de mots (courir un danger, embarras de richesse), d'équivalents de phrases (c 'est une autre paire de manches ; qui dort dîne, qui trop embrasse mal êtreint [prov.])'.

Les locutions phraséologiques pourraient être tout aussi bien clas­sées à partir d'autres principes dont la structure grammaticale ou l'appar­tenance à un style fonctionnel. Toutefois le principe sémantique, qui est mis en vedette par V.V. Vinogradov, paraît être un des plus fructueux. Il permet de répartir les locutions phraséologiques en plusieurs groupes qui se retrouvent dans des langues différentes. En effet, les locutions phra­séologiques se laissent assez nettement répartir en quelques types selon le degré de cohésion sémantique de leurs composants.

§ 55. Les combinaisons phraséologiques. Pour un grand nombre de locutions,appelées combinaisons phraséologiques, lacohésion est relativement faible. Les mots constituant les combinaisons phra-séologiques conservent en grande partie leur indépendance du fait qu'ils s'isolent distinctement par leur sens. Les combinaisons phraséologi-ques se rapprochent des agencements de mots libres par l'individualité sémantique de leurs composants. Elles s'en distinguent cependant par le fait que les mots-composants restent limités dans leur emploi. Géné­ralement un des composants est pris dans un sens lié tandis que l'autre s'emploie librement en dehors de cette locution. L'usage a consacré rompre les liens d'amitié et briser les liens d'amitié à l'exclusion de déchirer les liens d'amitié ou casser les liens d'amitié quoique dé­chirer et casser soient des synonymes de rompre et de briser. Ch Bally remarque qu'il est correct de dire désirer ardemment et aimer éperdument, mais les adverbes de ces locutions ne sont pas interchan­geables.

Certaines combinaisons phraséologiques sont le résultat de l'emploi restreint, parfois unique, d'un des composants qui estmonosémique. Ainsi avec ouvrable nous avons seulement jour ouvrable, avec saur - hareng saur, avec baba - rester baba, avec noise - chercher noise, avec coi -rester coi - et se tenir coi.

Souvent les combinaisons phraséologiques apparaissent à la suite de l'emploi restreint d'un des composants qui est polysémique dans un de ses sens, propre ou dérivé. Tels sont, d'un côté, eau stagnante, eau douce et une mine éveillée, blesser les convenances, de l'autre.

Mais la plupart des combinaisons phraséologiques sont créées à par­tir de l'emploi imagé d'un des mots composants : un travail potable, un spectacle imbuvable, un temps pourri, être noyé de dettes, éparpiller ses efforts, un nuage de lait, sauter sur l'occasion.

Les combinaisons phraséologiques sont caractérisées par l'autonomie syntaxique de leurs composants, les rapports syntaxiques entre ces com­posants étant conformes aux normes du- français moderne.

Notons que les combinaisons phraséologiques permettent la substitu­tion du composant à sens lié par un autre vocable sans que le sens des locutions change. À côté de être noyé de dettes on dira être abîmé, cousu, criblé, perdu de dettes ; on peut faire un choix entre engager et lier la conversation, entre prendre, surprendre et trouver en faute.

Les combinaisons phraséologiques ne sont point des équivalents de mots et. par conséquent, ils n'entrent pas dans le vocabulaire en tantqif uni­tés lexicales. Toutefois la lexicologie aborde la question des combinaisons phraséologiques dans l'étude des sens liés des mots.

§ 56. Les idiomes. Les idiomes sont des locutions dont le sens glo­bal ne coïncide pas avec le sens des mots-composants. Contrairement aux combinaisons phraseologiques les idiomes présentent un tout indivisible dont les éléments ont perdu leur autonomie sémantique. D'après leur fonctionnement syntaxique ils sont tantôt des équivalents de mots et [jouent, par conséquent, le rôle d'un terme de la proposition (enveloppe mortelle - «corps humain considéré comme l'enveloppe de l'âme ». matière grise - «. intelligence », un(e) laissé(e) pour compte - « personne abandonnée à son sort ». faire grand cas de qch -<< apprécier qch ». jeter de l'huile sur le feu, d'une seule traite - « sans intèrruption ». à la carte - « qui tient compte des goûts, des désirs de chacun » tantôt des équivalents d'une propositon dont les éléments conservent une certaine autono­mie syntaxique (il n 'y a plus que le nid, l'oiseau s'est envolé, il n'y a pas de rosés sans épines).

D'après le degre de leur motivation on distingue deux types d'idiomes : les locutions soudées et les ensembles phraseologiques.

Les locutions soudées ou soudures sont les plus stables et les moins indépendantes. Elles ne se laissent guère decmposer et leur sens déoule nullement de leur structure lexicale. Leur sens est convenntionnel tout comme le sens d'un mot immotivé. Pamii les soudures viennent se placer des expressions figées telles que aller au diable Vauvert, avoir maille à partir avec qn, marquer un jour d'une pierre blanche, ne pas être dans son assiette, à la queue leu leu et beaucoup d'autres. Le sens général de toutes ces locutions ne saurait plus être expliqué dans Ile français moderne par le sens des mots-composants. Seule une analyse Iétymologique permet de rétablir le lien sémantique effacé entre le sens iréel de l'expression et celui des composants. En effet, la locution marquer un jour d'une pierre blanche qui signifie « être heureux pendant un pour » vient d'une croyance, oubliée depuis, remontant aux anciens Romains. pour qui la couleur blanche symbolisait le bonheur. L'expression aller au diable Vauvert dont le sens est « aller fort loin, se perdre, dispa-raître » se rattache à l'ancien château de Vauvert. situé aux environs de Paris, qui sous le règne de Louis XI passait pour hante par le diable. La locution à la queue leu leu qui s'écrivait d'abord à la queue le leu. où leu est l'ancienne forme de loup, voulait dire « à la queue du loup » ; Iaujourd'hui elle signifie « à la file, un par un ». ainsi que marchent les loups.

Les locutions soudées comportent souvent des mots, tombés en dé­suétude. Tels sont assiette - « manière d'être assis ». dans l'expression n 'être pas dans son assiette : leu - « loup », dans à la queue leu leu ou bien maille et partir dans avoir maille à partir avec qnmaille désignait sous les Capétiens la plus petite des monnaies et partir signifiait « partager » ; nommons encore prou, mot de la vieille langue qui signifie « beaucoup ». et qui s'est conservé dans l'expression ni peu ni prou - « ni peu ni beaucoup, en aucune façon ». On rencontre aussi des mots à sens archaïque, oublié depuis longtemps. Ainsi le mot étoffe avait encore au XVIe siècle un sens très étendu, désignant toute matière composante ; on disait qu'une maison était faite de bonne étoffe ou qu'un vase était d` une étoffe précieuse, etc. ; ce mot avait aussi un sens plus abstrait dans l'ex­pression avoir de l'étoffe qui signifie de nos jours « avoir de hautes capa­cités ».

Certaines locutions soudées contiennent des archaïsmes grammati­caux. Signalons l'absence de l'article devant le substantif dans n'avoir maille à partir, l'absence de la préposition dans à la queue leu leu.

Beaucoup de locutions soudées ne renferment point d'archaïsmes d`aucune sorte et cependant on ne réussit pas a taire dériver leuf accep­tion actuelle du sens des mots-composants. Cela tient spuvent à ce que l'expression présentait autrefois une image qui s'est effacée par la suite. C'est ainsi que poser un lapin à qn signifie « manquer au rendez-vous qu'on a donné et causer ainsi une déception » par analogie à la surprise que cause aux spectateurs le prestidigitateur quand il pose, sans qu'on voit comment, un lapin sur la table : l`image du prestidigitateur qui pose son lapin s'est oubliée avec le temps et la locution a acquis dans la bou­che du peuple une nuance défavorable. Il en est de même pour l'expres­sion prendre la mouche qui a le sens de « se piquer, s'emporter brusquement et mal à propos » ; cette expression s'appliquait d'abord aux animaux, aux chevaux et aux bœufs qui trépignent, s'agitent et s'irri­tent lorsqu'une mouche les pique. En employant la locution battre son plein, qui à l'origine est un terme de marine, on n'évoque plus l'image de la marée qui, ayant atteint son maximum, sa plénitude, demeure quelque temps stationnaire.

À l'origine des soudures il peut y avoir quelque usage ancien, dispa­ru. Telle est l'expression rompre la paille avec qn qui veut dire « se brouiller avec qn » par allusion à un usage antique qui consistait à rompre la paille et à la jeter : pour signaler qu'on renonçait à toute relation avec la personne dont on voulait se séparer.

Certaines soudures ont à leur base quelque fait historique ou un épi­sode littéraire oublié. Tel est le cas de la locution mettre au violon dont le sens est « mettre dans une prison ». Selon le témoignage d'Amédée de Bast « la prison du baillage du Palais (de Justice) servait spécialement à enfermer les pages, les valets, etc., qui troublaient trop souvent, par leurs cris et leurs jeux, les audiences du parlement. Dans cette prison il y avait un violon destiné à charmer les loisirs forcés des pages et des laquais qu'on y renfermait pendant quelques heures. Ce violon devait être fourni, par stipulation de bail, par le luthier des galeries du Palais. C'est de cet usage, qui remonte au temps de Louis XI. qu'on a appelé violons les prisons temporaires, annexées à chaque corps de la ville ». Le sens de l'expression être le dindon de la farce qui correspond à « être finalement dupe » remonte à une de ces nombreuses farces du Moyen Âge où les pères trop crédules que leurs fils peu respectueux trompaient et bafouaient, avaient reçu le surnom plaisant de pères dindons par allusion à ces oiseaux dont la sottise était reconnue de tout temps. ,

Parfois c'est un préjuge causé par l'ignorance ou par une fausse croyance qui est à l'origine d'une locution soudée. C'est ainsi que courir comme un dératé voulant dire « courir extrêmement vite » provient; de la croyance remontant aux anciens Grecs et Romains qu'un coureur dont la rate est réduite et ne gonfle pas peut donner son maximum de vitesse.,On explique de façon suivante le sens de l'expressiontirer le diable par la queue- « en être réduit aux derniers expédients » : l'homme arrivé au bout de ses ressources finit par recourir à l'assistance du diable ; mais celui-ci refuse tout secours au malheureux qui l'implore, et lui tourne le dos afin d'aiguiser son désir et l'induire davantage en tentation ; exaspé­ré, l'autre le tire par la queue.

Les soudures subissent parfois l'action de la fausse étymologie. ce qui tient à une tendance psychologique à prendre conscience du sens caché d'un vocable, à se rendre compte et s'expliquer sa structure matérielle, son enveloppe sonore. Nous avons déjà signalé que la locution au diable Vauvert devient dans le langage populaire au diable ouvert ou toutt simplement au diable vert, le mot Vauvert étant dépourvu de sens dans le français d'aujourd'hui., La vieille expression tomber dans les pâmes -« se pâmer, tomber en pâmoison », a été changée en tomber dans les pommes qui appartient à présent au style familier.

Les soudures qui sont des locutions figées par excellence autant par leur sens que par leur structure ne souffrent pas la substitution de quelque vocable à leurs éléments composants. Il n'est pas possible de remplacer à son gré un des composants d'une locution soudée par un autre mot. un synonyme. Dans n 'avoir pas froid aux yeux, qui signifie « avoir de l'audace ». yeux ne peut être remplacé par mirettes. L'expression monter sur ses grands chevaux qui a le sens de « se mettre en colère, partir en guerre contre qn » ne pourrait être changée en monter sur ses énormes chevaux.

Rares sont les cas où les éléments composant un groupement soudé se trouvent en position distante. Plus rarement encore les locutions soudées subissent quelque modification. Citons cependant :

Il faut que la queue du diable lui soit sondée, chevillée et vissée à l'échiné d'une façon bien triomphante pour qu 'elle résiste à l'in­nombrable multitude de gens qui la tirent perpétuellement. (Hugo)

Et encore :

Il nous met trop sous la coupole de l'Allemagne. (Pro u st).

où en plus de l'insertion de trop dans l'expression d'origine il y a la transformation de coupe en coupole (cf. : être, mettre sous la coupe de -« être sous la dépendance de »).

Par leur structure lexicale certaines locutions soudées correspondent à des agencements libres ; (cf. : il a de l'étoffé, ce jeune homme et j'ai une ' belle étoffe pour me faire une robe). Ces agencements de mots confrontés sont essentiellement distincts dans le français moderne et se trouvent en rapports d'homonymie.

La plupart des soudures ont dans la langue une valeur expressive, émotionnelle. Elles sont largement utilisées comme moyen stylistique dans les œuvres littéraires.,Cependant l'effacement de l'image primitive des locutions soudées entraîne parfois la perte de la valeur expressive qui leur était propre autrefois. Tels sont bouc émissaire, à la queue leu leu qui paraissent être dans le français moderne des dénominations directes dépourvues de toute expressivité. D'autres locutions, qui avec le temps se sont soudées à la suite de l'effacement du sens primitif de leurs com­posants, n'avaient jamais eu de valeur expressive ; il en est ainsi pour faire grand cas de qch, avoir raison de qn, qch, etc.

À l'encontre des soudures le sens général et réel des ensembles phraséologiques se laisse plus ou moins révéler à travers le sens de leurs mots-composants. Telles sont les expressions : passer l'éponge qui signifie « oublier, pardonner ». rire du bout des lèvres ou « rire sans en avoir envie », avoir la langue liée, c'est-à-dire « avoir un motif qui ne permet pas de dire qch ».

Les ensembles phraséologiques absorbent l'individualité des mots-composants sans toutefois les priver de sens ; au contraire, le sens global des ensembles phraséologiques découle plus ou moins nettement du sens des mots-composants sans y correspondre exactement.

La plupart des ensembles se comprennent d'eux-mêmes. Telles sont les locutions conte (récit) à dormir debout ou « qui donne une envie de dormir irrésistible » ; tirer (à quelqu 'un) une épine du pied qui signifie « délivrer d'un grand embarras » ; en mettre sa main au feu. c'est-à-dire « soutenir quelque chose par tous les moyens et avec une entière convic­tion » ; se laisser manger la laine sur le dos ou « se laisser dépouiller ou injurier sans résistance » ; laver son linge sale en famille qui veut dire « liquider en secret les scandales, les différends qui surgissent dans une famille, dans un groupe social quelconque » ; lire entre les lignes ou « deviner ce que l'auteur laisse entendre » : avoir la langue bien pendue ou « parler avec facilité » : n 'avoir ni feu ni lieu qui signifie « être extrê­mement pauvre et sans asile ».

Cependant un certain nombre d'ensembles renferment une allusion à quelque événement historique, quelque fait littéraire, mythologique ou autre qu'il est indispensable de connaître pour en comprendre le sens réel. C'est ainsi que pour comprendre le sens de la locution moutons de Panurge qui désigne ceux qui agissent par esprit d'imitation, il faut se souvenir du fameux épisode du « Pantagruel » de Rabelais où le spirituel Panurge pour se venger des injures du marchand de moutons Dindenault lui achète une de ses bêtes et la précipite dans la mer ; imitant le mouton en train de se noyer, tous les autres moutons se jettent l'un après l'autre à l'eau, tandis que Dindenault voulant retenir le dernier, est entraîné avec lui dans l'abîme.

Afin que le sens de la locution revenir (ou retourner) à ses moutons signifiant actuellement « reprendre un discours ou une conversation in­terrompue, revenir à son sujet » apparaisse nettement, il faut connaître la célèbre « Farce de Maître Pathelin » où le juge rappelle aux plaideurs la cause première de leur querelle (il s'agit de moutons) en répétant : « Sus ' revenons à nos moutons ! ». C'est précisément à la forme impérative que cette locution est surtout employée.

La locution cultiver son jardin qui signifie au figuré « mener une vie paisible et sédentaire, sans se soucier des affaires d'autrui et de ce qui se passe par ailleurs » se comprend assez facilement ; cependant son sens devient plus clair si l'on se souvient de l'œuvre de Voltaire « Candide » dont la dernière phrase en constitue la morale :

Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin.

La locution coiffer sainte Catherine qui signifie « rester vieille fille » ne peut être comprise qu'à condition de connaître l'antique usage de cer­tains pays catholiques (Espagne, France. Italie) qui consistait à coiffer dans les églises la statue de sainte Catherine (la patronne des vierges) : le soin de la parer étant confié àdes jeunes filles, cette mission qui est agréable à seize ans ne l'est plus à vingt-cinq quand on risque de ne plus trouver de mari.

Le sens de l'expression lever le lièvre, c'est-à-dire « faire le premier une proposition, émettre une idée que les autres n'avaient pas » devient clair si l'on tient compte de ce qu'elle tire son origine de la chasse au lièvre où lever signifie « faire sortir du terrier ».

Parmi les ensembles phraséologiques vient se classer un grand nom­bre de comparaisons imagées qui sont bien typiques de la langue françai­se. Ce sont des expressions très usitées telles que : manger comme quatre, être têtu comme un âne, marcher comme une tortue, dormir comme une marmotte, pleurer comme une fontaine, être comme un poisson dans l'eau, rester muet comme un poisson, traiter qn comme un chien, s'emporter comme une soupe au lait, se soucier de quelque chose comme de ses vieux souliers, souffler comme un bieuf, les cheveux frisent comme des chandelles, se ressembler comme deux gouttes d'eau, être sage comme une image, être habillé comme un fagot, être vieux comme les rues, trem­bler comme une feuille, être maigre comme un clou, être long comme un jour sans pain, être bon comme le pain.

Ces expressions sont généralement très concrètes et leur sens se lais­se facilement comprendre.

La comparaison que renferment ces ensembles phraséologiques for­me leur intégrité.

L'intégrité des ensembles phraséologiques peut être créée par d'autres éléments composants :

- par la présence dans la locution de mots sémantiquement apparen­tés : parler clair et net. c'est-à-dire « d'une façon intelligible », ne re­muer ni pied ni patte ou « rester complètement immobile ». tomber de fièvre en chaud mal - « tomber d'un mal dans un pire », jeter feu et flamme - « s'emporter violemment » ;

- par la présence d'antonymes : c 'est le jour et la nuit - se dit de deux choses très différentes : entre ciel et terre - « à une certaine hauteur, en l'air » ; aller du petit au grand - « commencer par de petites choses, pour arriver à de plus grandes » : passer du blanc au noir - « passer d'une extrémité à l'autre » '.faire la pluie et le beau temps - « être influent, puissant » : cela ne lui fait ni chaud ni froid - « cela lui est indifférent », discuter le pour et le contre - « discuter les deux opinions contraires » . Ces locutions sont assez nombreuses dans la langue française.

- L'intégrité de la locution est due souvent à ce que les éléments composants sont liés par un rapport réel et objectif : de fil en aiguille. c'est-à-dire « de propos en propos, d'une chose à l'autre » ; avoir bec et ongles - « être en état de se défendre » ; se donner corps et âme - « se donner entièrement, sans réserve » ; gagner des mille et des cents - « ga­gner beaucoup d'argent : ménager la chèvre et le chou - « ménager des intérêts contradictoires ».

Parfois l'intégrité de la locution est formée par un effet phonique ; par l'allitération : conter monts et merveilles - « conter des choses qui provoquent l'admiration ». n 'avoir ni bure ni buron (buron - « hutte de berger»), c'est-à-dire «n'avoir pas même le vêtement, l'habit le plus humble », n 'avoir ni vent ni voie de qn - « n'avoir aucune nouvelle ». demander qch à cor et à cri - « en insistant bruyamment pour l'obtenir ». prendre ses cliques et ses claques - « s'en aller promptement » ; par la rime : n 'avoir ni feu ni lieu - « être sans abri, sans gîte », n 'avoir ni foi ni loi - « n'avoir ni religion ni conscience ».

Les dictons et les proverbes se laissent aussi ranger parmi les ensem­bles phraséologiques : il n'y a point de sots métiers : à quelque chose malheur est bon ; la nuit porte conseil.

Les ensembles phraséologiqes signalés ci-dessus représentent des lo­cutions imagées à valeur affective. Les ensembles de ce genre sont large­ment utilisés dans des buts stylistiques comme moyens expressifs Toutefois il existe un grand nombre d'ensembles phraséologiques dé­pourvus de nuances affectives et ne contenant point d'image, tout au moins d'image pertinente : ces ensembles représentent des dénominations di­rectes d'objets et de phénomènes de la realité. Ils sont fort typiques du français moderne dont les tendances analytiques sont très prononcées. Parmi ces locutions les plus répandues sont des locutions nominales dont col blanc, col-bleu, homme d'affaires, autoroute de liaison, bande ma­gnétique, bilan de santé, emballage perdu, boîte noire, vol habité, pre­mier (deuxième, troisième) âge. Nombreuses aussi sont les locutions verbales et adverbiales qui servent à dénommer directement divers phé­nomènes ou aspects de la réalité : perdre pied, lâcher prise, être aux prises avec qn ou qch, mettre qn dans l'embarras, prendre qn au dépour­vu, chercher ses mots, enfin de compte, en bras de chemise, à part entiè­re, cousu main, (opération) à cœur ouvert.

Contrairement aux groupements soudés, les ensembles phraséologi­ques sont généralement formés conformément aux normes syntaxiques du français moderne, ils ne renferment guère de mots et de tournures vieillis, archaïques. Les ensembles phraséologiques admettent parfois la substitution d'autres mots à l'un de leurs mots-composants sans que le sens de la locution entière change. Ainsi il existe plusieurs variantes de l'expression dormir comme une marmotte ; on peut dire également dor­mir comme un loir, dormir comme une souche, dormir comme un son­neur, dormir comme un sabot. Il en est de même pour pleurer comme une fontaine dont la variante est pleurer comme une Madeleine. On dit pa­reillement être triste comme un bonnet de nuit ou être triste comme une porte de prison, avoir le cœur gros ou avoir le cœur serré, monter sur les planches ou monter sur les tréteaux.

Les ensembles phraséologiques admettent dans certains cas la trans­position de leurs mots-composants sans que le sens du tout change : on dit aussi bien un temps de chien qu'un chien de temps, entendre pous­ser l'herbe qu'entendre herbe pousser.

Les mots-composants des ensembles phraséologiques prennent plus facilement que dans les groupements soudés une position distante :

On fait de la dépense devant les autres de temps en temps, et puis, dans le secret, du ménage, on tondrait, comme on dit, sur un œuf (G. S an d)

Amrouche s'y est si bien pris que même Roger M. du Gard, qui refuse d'ordinaire, a cru devoir s'exécuter... tout en m'en­voyant sans cloute, avec Amrouche, à tous les diables (A. Gide).

Des cas se présentent lorsque l'un des mots-composants de quelque ensemble phraséologique est déterminé par un terme de la proposition ne faisant point partie de cet ensemble :

Je n 'ai pas à mettre mon petit grain de sel mais, vous voyez, je me tords de toutes les avanies qu 'elle vous prodigue (M. Proust).

De même que pour les groupements soudés la structure lexicale des ensembles phraséoloqiques peut correspondre à celle des agencements libres (cf. : tirer une épine du pied et laver son linge sale en famille au sens direct et figuré).

Les rapports sémantiques entre les ensembles phraséologiques et les agencements libres sont pareils à ceux qui s'établissent entre les accep­tions différentes d'un mot polysémique. Notons que la démarcation entre les locutions de types différents n'est pas rigide compte tenu d'un certain entrecroisement de leurs traits caractéristiques ce qui entraîne un certain subjectivisme quant à l'interprétation de ces types. Ce fait a été mentionné par P. Guiraud [35. p. 7 et les suiv.] et rendu de façon imagée par V.N. Telia1.

§ 57. Les variantes phraséologiques. Un des traits particuliers de la phraséologie française est la variabilité de ses unités. En effet, un grand nombre de locutions phraséologiques est sujet à des modifications por­tant sur leur structure formelle. Ces modifications ne sont que partielles, elles ne portent atteinte ni au sens, ni à F image qui en principe restent les mêmes.

Il faut distinguer entre les variantes et les synonymes phraséologi­ques qui parfois prêtent à confusion Avons-nous variantes ou synony­mes dans tirer profit de et tirer parti de. ou dans ne pas remuer son petit doigt et ne pas bouger son petit doigt ?

Il y a synonymie si les distinctions formelles sont accompagnées d'une modification sémantique, dans le cas contraire nous avons varian­tes. C'est pourquoi il faudrait qualifier de variantes ne pas remuer (bou­ger) du petit doigt et de synonymes tirer profil de et tirer parti de.

Quant aux modulations stylistiques elles ne détruisent pas l'intégrité des locutions phraséologiques (se mettre [se foutre] en colère).

Les variations affectent parfois la structure grammaticale des locu­tions phraséologiques : on dira également jouer des mâchoires si jouet-dé la mâchoire, écorcher une anguille (ou ! 'anguille) par la queue, met­tre dam la (sur la, en) balance.

Très souvent c'est la composition lexicale qui varie. L'envergure sémantique du composant variable est très large. Ce peuvent être aussi bien des synonymes (abandonner / quitter la partie : saper les ba:;es /les fondements de... ; jeter des perles aux cochons /aux pourceaux : face / visage de carême) que des vocables à valeur sémantique éloignée (met­tre/réduire à la besace ; couper/manger son blé en herbe : faire flèche/ feu de tout bois : parler à un sourd/à un mur, aux rochers). Toutefois le plus souvent ce sont des vocables à sens plus ou moins voisin parmi lesquels : - des dénominations d'animaux (brider son cheval / son âne par la queue ; ne pas se trouver dans le pas d'un cheval /d'un âne, d'un mulet) ; donner sa langue au(x) chat(s) /aux chiens ; un froid de loup/de canard) : - des parties du corps (avoir un chat dans la gorge /le gosier ; jeter qch à la figure /à ta face, au nez de qn ; se tordre les mains /les bras, les doigts : river une chaîne au cou / au bras, aux pieds de qn).

Parfois c'est le changement de l'ordre respectif des mots-compo­sants qui crée des variantes : mettre du noir sur blanc et mettre du blanc sur noir.

Les variantes peuvent être aussi une conséquence de la coexistence de la locution phraséologique pleine et elliptique (sortir blanc [comme neige] : manger son bien [par les deux bouts} : boire le calice [jusqu 'à la lie} ; se laisser tondre [la laine sur le dos}).

Les variantes phraséologiques sont particulièrement fréquentes par­mi les combinaisons (le fardeau [lepoids] des années : lier \nouer\ amitié avec qn ; brûler [bouillir, griller] d'impatience). les ensembles phra-séologiques (garder, observer, sauver) les décors : contes (histoires) à dormir debout) : elles sont rares parmi les locutions soudées la bailler bonne (belle) - « se moquer de ».

Le vocabulaire du français d'aujourd'hui abonde en locutions phra-séologiques. Cette richesse de la phraséologie confère à la langue françai­se un aspect expressif et imagé et minimise les affirmations de certains linguistes qui. se référant aux phénomènes de la formation des mots, in­sistent sur son caractère foncièrement abstrait.

CHAPITRE IV

LES EMPRUNTS

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