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§ 78. L'influence des parlers locaux sur le français national.

Les dialectes locaux en voie de disparition s'incorporaient à la langue nationale en l'enrichissant à leur tour d'un nombre considérable de mots et d'expressions reflétant la culture, les mœurs, les conditions économi­ques et géographiques des régions différentes. Parmi les dialectes qui ont enrichi au cours du temps le français national la première place revient à juste titre aux parlers provençaux. Le français a adopté au provençal des mots tels que : asperge, brancard, cadenas, cadeau, cigale, amour, caserne, cap, cabas (« panier plat en paille, en laine, etc. »), tricoter, casserole, concombre, boutique, cabane, badaud, bagarre, charade, chavirer, charabia, escalier, escargot, fat, jaloux, pimpant, aïguemarine (« émeraude vert de mer »). Certains ont conservé leur halo pro­vençal, tels sont bouillabaisse (« mets provençal composé de poissons cuits dans de l'eau ou du vin blanc »), ailloli (« coulis d'ail pilé avec de l'huile d'olive »), farandole, fétiche, mas, pétanque, mistral.

Avant de devenir le français,-le dialecte de l'Ile-de-France n'était parlé que par des ruraux terriens ignorant à peu près tout ce qui se rap­portait à la mer. Les termes de marine furent plus tard pris par le français au normand, puis au provençal : crevette, galet, homard, salicoque, pieuvre sont venus du normand ; daurade, rascasse, sole (noms de poissons) - du provençal. Il faut ajouter que beaucoup de mots d'origine noroise (vieux Scandinave) ont été introduits dans le français par l'inter­médiaire du normand, tels sont : bâbord, bateau, bord, cingler, hauban, hisser, vague.

Les parlers de la Savoie et de la Suisse française ont introduit dans le français des termes ayant trait aux montagnes : chalet, moraine, avalan­che, glacier, chamois, alpage (« pâturage d'altitude »), replat (« plateau en saillie au flanc d'une montagne »), varappe (« escalade de rochers »), luge (« petit traîneau à main »), piolet (« bâton de montagne ferré à un bout et muni d'une petite pioche ») ; des mots désignant les fabrications locales : gruyère, tomme (sortes de fromage).

Beaucoup de termes se rapportant à l'industrie minière ont été pris aux dialectes picardo-wallons ; tels sont : houille, grisou, coron, faille, benne ; rescapé, forme wallonne de réchappé, a été introduit dans le français commun pour désigner celui qui est resté sauf après la terrible catastrophe de mine de Courrières (Pas-de-Calais) de 1906 et a pris par la suite le sens plus général de « qui est sorti sain est sauf d`un danger ».

§ 79. Les français régionaux en dehors de France. On parle aussi de français régionaux lorsqu'il s'agit de la langue française en usage en dehors des frontières de la France. Au-delà de l`nexagone les français (régionaux à rayon d'action le plus étendu sont ceux de la Belgique, de la ISuisse romande et du Canada.

I Les divergences au sein du français en usage dans ces pays sont avant [tout d'ordre lexical. Ce sont parfois des dénominations de réalités locales, comme, par exemple, les canadismes ouaouaron (m) - « grenouille [géante de l'Amérique du Nord », doré (m) - « poisson d'eau douce esti-[mé en cuisine » ou les belgicismes escavêche (f) - « préparation de poisson ou d'anguille », craquelin - « variété de pain au lait et au sucre », caraque - « une variété de chocolat », cassette - « spécialité de fromage de la région de Namur » ; débarbouillette est un autre canadisme qui correspond en français à « gant de toilette ». Plus souvent ce sont des équivalents de vocables du français central. Ainsi en Belgique on dit amitieux pour « affectueux » en parlant d'une personne, avant-midi (m) [pour « matinée »,fricadelle (f) pour « boulette de viande hachée ». En Suisse clairance (f) et moindre (tout-) sont des synonymes autochtones [de « lumière, clarté » et de « affaibli ; fatigué ». Septante, octanle, nonante sont à la fois des belgicismes et des helvécismes employés pour « soixan-Ite-dix », « quatre-vingts » et « quatre-vingt-dix ». Des mots du français [central peuvent recevoir des sens particuliers. Un cas curieux à l'oreille [d'un français est - présenté par l'adjectif cru qui, tant en Suisse qu'en [Belgique, signifie « froid et humide » (cf. : il fait cru aujourd'hui).

Il faut signaler que certains vocables n'ont pas exactement la même valeur sémantique en France et dans les autres pays francophones. Il en est ainsi de déjeuner, coussin ou odeur qui sont employés respectivement pour « petit déjeuner », « oreiller » et « parfum » dans le français belge. Il est remarquable que les régionalismes « extrahexagonaux » dési­gnent souvent des choses pour lesquelles le français central n'a pas trou­vé de dénomination univerbale. Tels sont, entre autres, les canadismes : poudrerie - « neige sèche et fine que le vent soulève en tourbillons », « avionnerie - « usine d'aviation », ou bien les belgicismes : ramassette - « pelle à balayures », légumier (-ère) - « marchand(e) de légumes ». En ce qui concerne l'origine des régionalismes elle se rattache à la situation géographique, à l'histoire culturelle et linguistique du pays fran­cophone. Les substrats (idiomes en usage avant le français) peuvent être très divers. Pour le français de la Suisse romande et de la Wallonie on retrouve les substrats celtique, latin, dialectal français. Ceci explique, en particulier, le maintien de vocables devenus des archaïsmes dans le fran­çais hors de France : par exemple, entierté - « totalité, intégralité » est courant en Belgique, mais oublié par les Français depuis le XVIIe siècle. Le français du Canada a pour substrat les parlers indiens de l'Amérique du Nord.

Ces français régionaux subissent aussi l'influence des langues voisines (les adstrats). Ce fait est surtout manifeste dans la variante canadienne du français qui se soustrait difficilement à l'emprise de l'anglais d'Amérique.

Aux vocables hérités des idiomes préfrançais viennent s'ajouter des créations indigènes (cf. :fricadelle, clairance et d'autres) dues à l'auto­nomie relative de l'évolution des français en dehors de France.

Les distinctions des « cousins » du français central portent aussi sur la prononciation. Ainsi on reconnaît un Liégeois à sa façon de faire durer les [i] et les [y] (timide, pigeon, flûte) et un Québécois à la prononciation des t et d comme [ts] et [ds] devant les voyelles.

Quant à la structure grammaticale, elle présente le moins de varia­tions.

§ 80. Les jargons sociaux. Généralités. La langue est appelée à satisfaire les besoins du peuple en entier, elle sert pareillement toutes les couches sociales. Cependant la présence au sein de la société de classes et de groupes sociaux différents se fait infailliblement ressentir sur la lan­gue, particulièrement sur son vocabulaire. L'existence des divers jargons sociaux en est un témoignage manifeste.

Les dialectes sociaux (ou jargons) se distinguent profondément des dialectes locaux.

À rencontre des dialectes locaux qui sont parlés par des représen­tants de couches sociales différentes, les jargons ont une sphère d'appli­cation étroite parmi les membres d'un groupe social déterminé.

Contrairement aux dialectes locaux, les dialectes sociaux ou jargons n'ont guère leur propre système grammatical et phonétique ; ils le possè­dent en commun à côté d'une partie du vocabulaire avec la langue natio­nale. Donc, les jargons sociaux sont dépourvus de toute indépendance linguistique, ils ne sont rien autre que des rejetons de la langue nationale du peuple tout entier.

C'est pourquoi les jargons sociaux ne peuvent guère devenir des lan­gues indépendantes, ils ne peuvent servir de base à la création de langues nationales.

§ 81. Le jargon de l'aristocratie française du XVIIe siècle. Les jargons peuvent être créés par les membres des classes dirigeantes qui se sont détachées du peuple et nourrissent du mépris à son égard. Ces jar­gons de classe se distinguent par un certain nombre de mots et d'expres­sions spécifiques d'un caractère recherché, ils sont exempts des expressions réalistes et « grossières » de la langue nationale. Voulant se singulariser, les couches supérieures des classes dominantes se fabriquaient, en particulier, des « langues de salon ». L'aristocratie mondaine du XVIIe siècle désireuse de s'opposer au « bas » peuple s'est ingéniée à remplacer des mots d'un emploi commun, mais lui paraissant vulgaires, par des pé­riphrases euphémiques inintelligibles et saugrenues, comme : la mesure du temps (« la montre ») ; le témoin des âges (« l'histoire ») ; l'enfant de la nécessité (« un pauvre ») ; la compagne perpétuelle des morts et des vivants (« une chemise ») ; l'ameublement de la bouche (« les dents ») ; lustrer son visage (« se farder ») ;

l 'amour fini (« le mariage ») ; le plaisir innocent de la chair (« l'ongle »), etc.

Rien que ces quelques exemples démontrent à quel point les jargons

de classe sont stériles et même nuisibles à la communication. i

§ 82. L'argot. À côté des jargons de classe, il faut nommer l'argot des déclassés, appelé aussi «jargon »'. De même que les jargons de clas­se l'argot des déclassés ne forme guère de langue indépendante. Il utilise les systèmes grammatical et phonétique de la langue nationale et n'a en propre qu'une partie du lexique. Il ne sert guère de moyen de communi­cation à toute la société, mais seulement à une couche sociale restreinte, originairement à des malfaiteurs. L'argot français des déclassés est très ancien, il existe depuis le Moyen Âge.

L'argot était un langage secret destiné à n'être compris que des mal­faiteurs, c'est pourquoi il devait constamment se modifier. Encore V. Hugo qui a consacré dans « les Misérables » tout un chapitre à l'argot, écrit :

« L'argot étant l'idiome de la corruption, se corrompt vite. En outre, comme il cherche toujours à se dérober, sitôt qu'il se sent compris, il se transforme... Ainsi l'argot va-t-il se décomposant et se recomposant saiîs cesse. »

J. Richepin confirme cette idée : « Organisme vivant, en perpétuelle décomposition et recomposition, l'argot est essentiellement instable. C'est du vif-argent. Il passe, court, roule, coule, se déforme, meurt, renaît, flot­te, flue, file, fuit, échappe à la notation. L'instantané qu'on en prend aujourd'hui n'est plus ressemblant demain. »

Pourtant, malgré cette mobilité de l'argot dans son ensemble, pas mal de ses mots sont très vivaces ; il y en a qui existent depuis F. Villon (XVe siècle).

L'argot des déclassés n'est guère un parler artificiel et conventionnel ainsi que le pensent certains linguistes, il n'a rien de commun avec les langues artificiellement créées telles que l'espéranto et le volapiik, son évolution est régie par les lois essentielles du développement de la langue générale. « ...Ses procédés de formation, écrit A. Dauzat, sont ceux de tout idiome, avec les différences conditionnées par le milieu et les be­soins du groupe. » [45, p.19].

Dans son développement accéléré l'argot fait appel aux divers moyens de création et de renouvellement appartenant à la langue commune. Ainsi on y retrouve les mêmes procédés essentiels de formation :

- l'affixation(l'emploi des préfixes et des suffixes courants), par exemple :

dé- : débecter - « dégoûter », < becter - « manger » ; re- : replonger - « être incarcéré de nouveau après récidive » <plonger - « être inculpé ou incarcéré » ; -iste : étalagiste - « voleur à l'étalage » ; -eur, -euse : biberonneur - « alcoolique, ivrogne » ; faucheuse - « mort » et « guillo­tine » ; -âge : battage - « mensonge » ; -ard, -arde fendard- « panta­lon », crevard~« insatiable, qui a toujours faim », soiffard- « qui boit beaucoup », babillards - « langue » ; -ier -.flibustier - « individu mal­honnête » <flibuster ~ « voler, escroquer » ;

- le passage d'une catégorie lexico-grammaticale dans une autre : battant, palpitant - « cœur » ; luisant - « soleil » et « jour », crevant -« très fatigant » et « très drôle », cogne - « policier, agent de police », centrale (m) - « prisonnier détenu dans une maison centrale» ;

- la composition : casse-pattes - « boisson très forte », court-jus -« court-circuit », court-circuits - « douleur vive et rapide », casse-pipe -« guerre »,pète-sec se dit d'une personne autoritaire, qui commande sans réplique :

- le télescopage : malagauche de mala[droit] et gauche - « mala­droit « ,fouhitude de foul[e] et [mul]titude - « grande quantité », éco-nocroques de écono[mie] et croqu[er] ;

- l'abréviation : bombe pour « bombance », alloc pour « allocation », beauf(e) pour « beau-frère », estom pour « estomac », diam pour « dia­mant », maquille pour « maquillage », der pour « dernier » (cf. : le der des ders - « le dernier verre avant de se quitter ») ;

- la formation d'onomatopées : toquante - « montre » < toc-toc, fric-frac - « vol avec effraction » ;

  • la formation de locutions phraséologiques, tas de ferrailles - « vé­hicule en mauvais état», pincer de la harpe, de la guitare - « être en prison », son et lumière - « une personne âgée, un vieillard », soixante-dix-huit tours - « personne âgée ou démodée », être tondu à zéro -« avoir les cheveux coupés ras », c'est du cinéma ! - « c'est invraisem­blable, ce n'est pas crédible ! »,

c 'estpas de la tarte ! - « cela n'ira pas tout seul, c'est qch de très difficile ! », n 'en avoir rien à cirer - « s'en désintéresser complètement ».

Cependant l'argot possède certains modèles et procédés de forma­tion qui lui appartiennent en propre. Signalons, entre autres, les pseudo­suffixes argotiques -mar(e), -muche, -uche, -oche, -go(t), -os, -anche, -dingue, -aga, par exemple : épicemar - « épicier » ; Ménilmu-che - « Ménilmontant », argomuche - « argot » ; la Bastoche - « la Bastille », cinoche - « cinéma » parigot- « parisien », icigo - « ici », lago - « là » ; chicos - « chic », craignos se dit de qch de laid, douteux, inquiétant : « Cet hôpital ripou (= « pourri ») devient craignos », calmos (du calme !), boutanche - « bouteille », préfectanche - « préfecture », cradingue - « très sale, crasseux », sourdingue - « sourd » ; poulaga -« policier».

Un des procédés préférés de l'argot paraît être la déformation des mots existants. Les suffixes argotiques signalés ci-dessus servent notam­ment à déformer les mots de la langue générale en les faisant passer, transfigurés dans l'argot. Un autre moyen de déformer les mots, et qui n'est rien qu'un code spécial, consiste à remplacer la consonne ou le groupe de consonnes initiales par un 1, à les rejeter à la fin en les faisant suivre d'une finale : -é, -em, -i, etc. C'est ainsi qu'ont été formés loucherbem et largonji désignant l'ancien argot des bouchers de la Villette : l-ou-cher-b-em de « boucher », l-ar-gon-j-i de « jargon » ; cf. encore : elicierpem pour « épicier », enlerfem pour « enfer », lauchem - « chaud », laubé - « beau, belle », linvé pour « vingt ». Signalons encore le verlan, autre procédé qui consiste à retourner le mot « à l'envers », syllabe par syllabe : brelica pour « calibre », chicha pour « haschisch », tromé pour « métro »,féca pour « café », ripou pour « pourri »'.

Comme nous l'avons vu les créations nouvelles dans l'argot des dé­classés sont nombreuses ; toutefois elles ne présentent pas toujours de véritables néologismes, mais des altérations purement formelles de mots de la langue commune ; ainsi de valise on tire valoche, valdingue.

C'est encore plus souvent en conférant des acceptions nouvelles aux vocables de la langue commune que l'argot se développe. D'une manière générale l'argot est caractérisé par les mêmes procédés sémantiques que la langue nationale. Mais parmi ces procédés la première place revient aux changements métaphoriques : « ... la métaphore..., remarque entre autres linguistes, A. Dauzat, c'est une des principales forces créatrices des langages argotiques comme de tous les parlers populaires, essentielle­ment émotifs. » [45, p. 149]. À titre d'exemples nommons piano - « les dents », souris - « fille, femme » (plutôt jeune et bien faite), corbeau - « curé en soutane », aquarium - « bureau vitré ». fuseaux - « jambes » (plutôt maigres), rat - « avare ». éponge - « ivrogne », agrafer, accro­cher - « appréhender, arrêter », nettoyer - « dépouiller », expédier - « tuer ». planer - « rêvasser, ne pas avoir le sens de la réalité »

On y trouve plus rarement des métonymies : pèlerine - « policier », calibre - « revolver ». la calotte - « le clergé, les curés ». foire - « fête, goguette ».

Les euphémismes y sont fort nombreux : effacer, envoyer, descen­dre, régler son compte pour « abattre, tuer ». soulager, détourner, tra­vailler pour « voler ». frangine, nana, fille de noce, marchande d'amour pour « prostituée », faire sa malle, lâcher la bouée, perdre le goût du pain, rendre ses clés pour « mourir ».

L'argot compte un nombre considérable de vocables étrangers ce qui s'explique par les contacts fréquents des déclassés français avec des re­présentants d'autres nationalités au cours de l'histoire. Non seulement les langues modernes, mais aussi les langues mortes ont participé a» renou­vellement de l'argot. Ce caractère quelque peu savant de l'argot lui a été conféré déjà à l'époque où il était, un langage secret, ses créateurs et ses réformateurs étant souvent des gens suffisamment instruits

Parmi les vocables d'origine étrangère citons -.flemme - « paresse » < ital. "flemma" - « tranquillité, patience ». fourguer - « acheter des objects provenant d'un vol » < ital. "frugare" - « chercher avec minutie ». sbire - « surveillant de prison, policier » - < ital. '"sbirro" - « policier » ; frio - « froid » < esp. "frio", mendigot - « mendiant errant » < esp. "men-digo", moukère - « femme de mauvaise vie » < esp. "mujer" - « femme, épouse » ; schlague - « fouet, cravache (comme châtiment corporel) » < all. ,,Schlag" - « coup », schlass ou chlass - « ivre » < all. ,,Slass" -« fatigué, mou » : because, bicause - « parce que » < angl. "because". bisness, bizness - « métier » < angl. "business" - « affaire(s). occupa­tion ; casbah - « maison ; local d'habitation », d'origine arabe.

L'argot se distingue par la multiplicité de ses synonymes. Toutefois cette richesse, selon lajuste remarque de A. Dauzat. est « plus apparente que réelle, car le nombre des mots ne répond pas à une grande variété de sens et de nuances » [45. p. 185]. En effet, les membres des nombreuses séries de synonymes qu'offre l'argot peuvent être généralement employés indifféremment et présentent des synonymes dits « absolus ». C'est ainsi que pour « père » l'argot dit le dabe ou le daron qui sont de simples équivalents : il en est de même pour « main » -pince, patte, cuiller, etc. ; les équivalents argotiques de « tête » sont encore plus nombreux : bille, bobine, bouchon, boule, caillou, cafetière, citrouille, chou, pêche, cense, cassis, pomme et d'autres figurant au nombre de 66 dans le dictionnai­re de l'argot par J.-P. Colin et J.-P. Mével [46]. On pourrait aisément multiplier les exemples. Ainsi, selon les données du même dictionnaire, l'argot a à sa disposition environ 28 mots pour exprimer l'action de man­ger, 34 mots signifiant « boire », 11 mots désignant l'« eau-de-vie ». 32 mots désignant 1« ivresse » et l'« ivrogne » : l'argent est dénommé par 71 mots. 26 mots désignent la « prison » et 66 - le « policier ».

Cette abondance de synonymes résulte de la tendance très accusée de l'argot, tout comme du langage populaire en général, de remplacer les vocables, dont l'image s'efface peu àpeu, pard'autres vocables plus évo-cateurs, frappant l'imagination.

Les vocables d'origine argotique représentent donc, comme règle, des synonymes ou des variantes de mots de la langue commune et ils sont souvent eux-mêmes formés à partir de ces mots.

En parlant des synonymes il est nécessaire de mentionner un phéno­mène qui a pris une extension particulière dans l'argot. Ce phénomène pourrait être nommé « création de synonymes par attraction de sens » : il consiste en ce qu'un vocable est susceptible de recevoir en qualité de synonymes tout autre vocable uni au premier par un rapport sémantique plus ou moins apparent. Lorsqu'en argot un nom de fruit a désigné « la tête » (selon le témoignage de A. Dauzat. « le premier tenue paraît être la poire, d'après une caricature de Louis-Philippe »), d'autres noms de fruits ont subi la même évolution sémantique (cf. : pêche, pomme, citrouille, etc.) servent aussi à présent à désigner la tête. Les rapports sémantiques qui se trouvent à la base de la création de nouveaux synonymes sont parfois plus compliqués. Ainsi, chiquer qui signifie en argot « battre » et « tromper » éveille aussi l'idée de tabac (pour autant qu'en français standart chiquer veut dire « mâcher du tabac ») ; partant de l'idée de battre, d'un côté et de l'idée de tabac de l'autre, chiquer donne naissance à deux séries synonymiques parallèles -.passer à tabac, tabasser - « battre, rouer de coups » et raconter une carotte, raconter une blague - « tromper ».

Cet exposé, aussi bref soit-il, démontre avec évidence que les lois qui président au renouvellement et au développement de l'argot, malgré les quelques particularités qui lui sont propres, sont les mêmes que celles de la langue commune.

Il a été dit que l'argot des déclassés a surgi en qualité de langage secret créé dans des buts de défense sociale. Quant à l'argot moderne, la majorité des linguistes dont L. Sainéan [47. p. 482] et A Dauzat [45. p. 21], se rangent de l'avis qu'il a perdu son caractère secret à la suite de sa pénétration, devenue particulièrement rapide dès le début du XIXe siè­cle, dans le langage populaire : de là l'affirmation que l'argot comme tel n'existe plus.

Cette vue est mise en cause par P. Guiraud qui insiste sur la fonction cryptologique de certains procédés de renouvellement du vocabulaire ar-. gotique : « ...le milieu, dit-il, continue à forger des mots secrets, mais en donnant une place toujours plus grande aux formes codées. Il est donc inexact de dire qu'il n'y a plus d'argot » [49. p 25]. D. François-Geiger. dans son Introduction au « Dictionnaire de l'argot » (1990) de J -P. Colin et J.-P. Mével, remarque que « ...la fonction cryptique s'accompagne d'une fonction ludique et le plaisir verbal semble même l'emporter ac­tuellement » (pp. XII-XIII). Cette opinion paraît être justifiée vu la péné­tration des vocables argotiques dans tout parler quelque peu relâché. Toutefois la vitalité de l'argot paraît être due avant tout à sa fonction de servir d'indice social. En effet, l'argot offre à l'argotier tout aussi bien la possibilité de s'affirmer, de marquer son appartenance à un groupe social qui se veut à part, qu'un moyen de ralliement avec ses pareils.

Au cours des siècles l'argot des déclassés a fourni au français litté­raire une partie de ses vocables par l'intermédiare du langage populaire.

Certains d'entre eux s'y sont incrustés si profondément qu'ils ont complètement perdu leur valeur argotique. Déjà au milieu du XXe siècle Clément Casciani disait à ce propos : « Nombre d'expressions qui. au XVIIIe siècle, étaient du pur argot figurent aujourd'hui dans le diction-, naire de l'Académie où elles ne font pas trop mauvaise figure. » [49, p. 54]. Qui se douterait aujourd'hui de l'origine argotique des mots tels que abasourdir (de l'ancien basourdir- « tuer »), boniment (tenue de saltim­banque, de bonir-, dire », proprement « en dire de bonnes »). bribe (qui signifiait à l'origine « pain mendié »). dupe (formé de huppe avec l'ag­glutination du d de de), grivois (autrefois « soldat »). polisson (dont le sens primitif est « voleur ». de polir - « voler »).

L'influence de l'argot continue à se faire fortement sentir dans le français national moderne. Certains vocables, sans perdre toutefois leur valeur argotique et populaire, figurent dans les dictionnaires généraux et reçoivent droit de cité sur les pages des œuvres littéraires

Signalons entre autres : becter, bouiotter - « manger ». galette, po­gnon, grisbi - « argent ». toucher la galette - « toucher de l'argent ». agrafer- « empoigner, arrêter ». piaule - « chambre, logement ». pinard - «toute espèce de vin ». plombe ~ « heure ». broquille ~ « minute » (cf. : six plombes et vingt broquilles), mec - « homme, individu quelconque », baffe - « gifle ». baccara - « faillite » (dans l'expression être en plein baccara - « être dans les ennuis jusqu'au cou »). flemme, cosse - « pares-. se »,pote - « camarade, ami ». zig~«. type, individu ». bastringue - « bal de guinguette », frangin, -ine - « frère, sœur », moche - « laid », chouet­te - « beau, bon, agréable », alpaguer, pincer - « appréhender, arrêter » et « mettre la main sur, s'emparer de, saisir qn », bousiller - « travailler mal et vite », ça boume, ça gaze - « ça va, ça va bien », d'enfer, du tonnerre - « sensationnel, excellent ».

§ 83. Les jargons ou argots professionnels. Des argots de clas­se il faut distinguer les jargons ou les argots professionnels. Les argots professionnels sont des langages spéciaux servant des groupes d'indivi­dus pratiquant quelque métier ou profession. De même que les argots de classe les jargons professionnels ne possèdent en propre qu'une partie du lexique ; quant au système grammatical et la prononciation, ils sont ceux de la langue commune. Les argots professionnels comprennent des mots et des expressions destinés généralement à suppléer les mots de la langue commune usités par les représentants de professions et de métiers diffé­rents. Ces mots et expressions sont souvent caractérisés par une nuance émotionnelle, affective.

Les ouvriers possèdent dans chaque corps de métier un argot spé­cial. Il en est de même pour le théâtre et le cinéma, les écoles et autres corporations de gens réunis d'après leurs occupations. Les soldats parlent argot dans la caserne comme les marins sur le navire.

Signalons à titre d'illustration quelques vocables d'origine argotique figurant dans les dictionnaires de type général. Tels sont de l'argot des écoles : boîte - « école », boîte à bachot, bahut - « lycée » ; piocher, chiader, potasser - « travailler avec assiduité » ; diff- « difficile » ; prof - « professeur » ; math élém - « mathématiques élémentaires » ; colle -« exercice d'interrogation préparatoire aux examens » et « question diffi­cile »,pion - « répétiteur », archicube - « ancien élève de l'École nor­male supérieure » : énarque - « ancien élève de l'École nationale d'administration (considéré comme détenteur du pouvoir) », sorbonnard - « étudiant en Sorbonne.

Dans l'armée, qui a son argot très étendu, ont pris naissance : bar­da- « équipement complet du soldat » ; rab(iot) - « ration en supplé­ment » ; perm(e) - « congé accordé à un militaire, permission » ; colon -« colonel », capiston - « capitaine » ; juteux - « adjudant » flingot -« fusil » ; marmite - « obus » ; marmitage - « bombardement » pagnoter, roupiller - « dormir », baroud- « combat » ; taule - « prison militai­re » et beaucoup d'autres. Certains, en passant dans l'usage courant, ont acquis des sens supplémentaires ou bien ont élargi leur emploi. Ainsi go­dillot en plus de « chaussure militaire » s'emploie aussi pour nommer « un inconditionnel, un fidèle qui marche sans discuter » : pinard à partir de « boisson préférée des soldats » s'est largement répandu dans le lan­gage courant où il désigne le vin rouge ordinaire.

Les jargons de classe, les jargons ou argots professionnels de même que l'argot des déclassés sont autant de ramifications de la langue natio­nale commune.

Il ne faut pas confondre avec les jargons et les argots les diverses terminologies et les différents vocabulaires professionnels qui enrichis­sent la langue nationale de termes spéciaux exprimant des concepts nou­veaux.

- Tels sont les termes de médecine : pasteurisation, auscultation, vaccination, insufflation, capillarité, thérapie, diphtérie, albinisme, rhu­matisme, rhinologue, sphygmomanomètre, scannographie. etc. :

- les termes de physique : volt, ampère, irisation, polarisation ;

- les termes de chimie : néon, brome, iode, condenser, carbone ;

  • les termes techniques : électriflcation, aciération, canalisation, dé­raillement, fusionnement, dérouillement. etc., et une multitude d'autres termes.

CHAPITRE III

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