- •Troisième partie
- •Quatrième partie
- •§ 10. La signification en tant que structure. La majorité des linguistes envisage la-signification comme un des ingrédients du mot.
- •§ 12. Caractéristique phonétique des mots en français moderne.
- •Premiere partie
- •§ 21. Les différents types de sens. Les sens des mots se laissent classer d'après quelques types essentiels.
- •§ 25. La métaphore. La métaphore ( du grec metaphora qui signifie proprement “transfert”) est la dénomination d`un objet par un autre lié au premier par une association de similitude.
- •§ 35. Les suffixes servant à former des substantifs concrets. Les suffixes des substantifs à sens concret constituent un autre groupe considérable.
- •§ 38. La suffixation des verbes. La suffixation est moins typique des verbes que des substantifs et des adjectifs.
- •§ 41. La préfixation des substantifs. Les formations préfixales sont beaucoup plus rares parmi les substantifs que les formations suffixales.
- •§ 42. La préfixation des adjectifs. Les formations préfixales parmi les adjectifs ne sont guère non plus très nombreuses.
- •§ 46. La composition. Ce procédé de formation, quoique moins productif que la dérivation affixale. Occupe une place importante dans le système formatif du français d'aujourd'hui.
- •§ 58. Remarques préliminaires.
- •§ 67. Les doublets. Ainsi qu'il s'ensuit des faits analysés, le vocabulaire français examiné du point de vue de son origine se compose de trois couches essentielles de mots :
- •Deuxieme partie
- •Les groupements lexicaux
- •§ 73. La langue nationale et les dialectes locaux. Généralités.
- •§ 76. Les caractères essentiels du français régional de France. En France le français régional a subi l'influence des parlers locaux qui se fait surtout sentir sur la prononciation.
- •§ 78. L'influence des parlers locaux sur le français national.
- •Mots et calques internationaux dans le vocabulaire du français moderne
- •Éléments nouveaux et archaïques
- •Les sous-systèmes dus aux relations
- •Les synonymes
- •Les antonymes
- •§ 99. Les types d'opposition antonymique. Les oppositions entre deux choses homogènes peuvent être de différente nature ; de là - les différents types d'antonymes.
- •§ 100. L'antonymie partielle. Tout comme les synonymes, les antonymes peuvent être partiels. Les mots polysémiques peuvent avoir des antonymes dans chacune de leurs acceptions.
- •§ 103. Les principaux types d'homonymes.L'homonymie est absolue quand aucun indice de nature orthographique ou grammaticale ne spécifie les homonymes qui se distinguent uniquement par leur sens.
- •Types de dictionnaires
- •§ 105. Généralités.L'étude des dictionnaires, ou la lexicographie, s'élève, à l'époque actuelle, à la hauteur d'une science.
- •Les dictionnaires unilingues
- •Les dictionnaires bilingues
§ 58. Remarques préliminaires.
Outre les sources internes, telles que l'évolution sémantique et la formation des mots et de leurs équivalents, le français possède, comme toute autre langue, une source externe de l'enrichissement du vocabulaire - l'emprunt aux autres idiomes.
Notons que l'acception du ternie « emprunt » est étendue outre mesure dans certains travaux de linguistique.
C'est à juste raison que dans son œuvre capitale sur l'emprunt linguistique L. Deroy remarque qu' « on ne peut logiquement qualifier d'emprunts dans une langue donnée que des éléments qui y ont pénétré après la date plus ou moins précise marquant conventionnellement le début de cette langue » |36, p. 6]
Le français a réellement fait des emprunts seulement après s'être' affranchi des caractères essentiels du latin, après avoir acquis les traits fondamentaux d'une langue romane particulière. C'est pourquoi il est incorrect de considérer comme emprunts proprement dits les mots d'origine celtique (par ex : bouleau, bec. tonneau, etc.) et germanique (par ex. :jardin, fauteuil, gare, etc ) introduits à l'époque de la formation du français en tant que langue indépendante
L'emprunt à proprement parler se fait à un idiome foncièrement différent de la langue emprunteuse. En ce sens il est abusif de parler d'emprunts faits par le français à l'argot ou à des terminologies diverses, car l'argot et les nombreuses terminologies sont autant de rejetons du français commun. Il est difficile pour la même raison de qualifier de véritables emprunts les mots dialectaux qui ont pénétré dans le vocabulaire commun, les dialectes étant aussi des variétés de la langue française nationale'.
Donc, nous appellerons « emprunts » uniquement les vocables (mots et locutions) et les éléments de mots (sémantiques ou formels) pris par le français à des langues étrangères ainsi qu'aux langues des minorités nationales (basque, breton, flamand) habitant le territoire de la France. On emprunte non seulement des mots entiers quoique ces derniers soient les plus fréquents. Les significations, les traits morphologiques et syntaxiques sont aussi empruntables. C'est ainsi que l'acception récente du verbe français réaliser « concevoir, se rendre compte » est un emprunt sémantique fait à l'anglais. Croissant (de boulanger) et lecteur (de l'Université) sont des emprunts sémantiques venus de l'allemand. Créature a pris à l'italien le sens de « protégé, favori ». (« C'est une créature du dictateur »). Sous l'influence de l'anglais contrôler et responsable ont reçu respectivement le sens de « dominer, maîtriser » (« contrôler ses passions ») et « raisonnable, sérieux » (« une attitude responsable »). Le sens de l'anglo-américain undésirable a déteint sur le français indésirable qui lui aussi désigne à présent une personne qu'on refuse d'accueillir dans un pays.
Une façon toute particulière d'emprunter est celle d'adopter non seulement la signification, mais aussi la « forme interne » du vocable étranger. Ce type d'emprunt est appelé « calque ». En guise d'exemple signalons surhomme modelé sur l'allemand Ûbermensch ; franc-maçon et bas-bleu reproduisant les formations anglaises free-mason et blue-stocking ; prêt-à-porter est aussi un calque de l'anglais ; gratte-ciel correspond à l'anglo-américain sky-scraper. Les locutions marée noire, plein emploi sont calquées sur des tours anglais black tide et full employment.
Les éléments morphologiques sont introduits dans la langue par l'intermédiaire d'une série de mots d'emprunt comportant ces éléments. Le suffixe -ade, avant de devenir un suffixe français faisait partie de nombreux substantifs pris à d'autres langues romanes. Les suffixes -esque et
-issime sont venus par le biais d'italianismes. C'est par le truchement d'une multitude d'emprunts faits au latin que le suffixe -ation a pris racine en français ; -isme y a été introduit à la suite de la pénétration de nombreux mots latins formés avec ce suffixe de provenance grecque.
Il est possible d'emprunter non seulement des éléments significatifs, mais aussi des sons ou des combinaisons de sons. Pour ce qui est du français c'est le cas du léger « coup de glotte » introduit avec les mots d'origine germanique et rendu graphiquement par le h dit aspiré : hache, hareng, haricot, héros, hors-d"œuvre, etc. À l'heure actuelle on signale l'intrusion du son [] par l'intermédiaire des mots anglais en -ing, fait qui est déploré par beaucoup de linguistes : aujourd'hui l'articulation de ce son soulève encore des difficultés, son assimilation (si assimilation il y a !) dans l'avenir pourrait porter atteinte au système phonique du français.
Si la langue s'oppose à l'intégration des sons étrangers, elle accueille plus facilement les nouvelles combinaisons ou positions de sons existants. Ainsi, par exemple, les combinaisons [sn], [st], [sk], [sp] impossibles au début des mots en ancien français, ne choquent plus depuis l'adoption de nombreux mots latins les comportant (cf. : stérile, stimuler, statue, spectacle, spécial, spatule, scandale, scalper, scander, stade, stable, stagner, etc.).
L'étude des emprunts révèle nettement le lien existant entre la langue et l'histoire du peuple qui en est le créateur.
Le vocabulaire du français moderne compte un assez grand nombre d'emprunts faits aux idiomes étrangers à des époques différentes.
Chaque période du développement du français est caractérisée par le nombre et la qualité des mots empruntés, ce qui découle des conditions historiques concrètes, du caractère des relations entre le peuple français et les autres peuples.' Parfois l'emprunt est dicté par la mode ou par un snobisme ridicule. Mais, en règle générale, c'est la langue d'un peuple qui, à une époque donnée, a acquis un grand prestige dans l'arène mondiale, une influence économique et culturelle prépondérante qui devient une féconde source d'emprunt. C'est pourquoi les emprunts présentent un grand intérêt non seulement pour le linguiste, mais aussi pour l'historien, en tant que document historique et culturel.
Afin que l'emprunt s'effectue aisément l'influence politique, culturelle d'une nation sur une autre à une époque donnée n'est guère suffisante à elle seule. L'emprunt est surtout facilité lorsque la langue qui puise et celle qui sert de source appartiennent à la même famille et surtout à la même branche.
L'itinéraire des emprunts est parfois fort compliqué. Selon que l'emprunt à une langue s'effectue immédiatement ou par l'entremise d'une autre langue, il est direct ou indirect. Les mots exotiques du vocabulaire français sont fréquemment des emprunts indirects. Ainsi pirogue est un emprunt fait à la langue des Caraïbes par l'intermédiaire de l`espagnol : bambou a été pris au portugais, qui à son tour l'a emprunté au malais : albatros et véranda, d'origine portugaise, tornade de provenance espagnole ont été introduits en français par l'anglais : barbecue - mot haïtien a pénétré dans le français par l'anglais via l'espagnol.
Signalons à part certains mots qui, après avoir été pris au français par d'autres langues, sont revenus méconnaissables à leur bercail linguistique : tel est budget emprunté directement à l'anglais et remontant à l'ancien français bougette - « petit sac » ; tennis venu de l'anglais n'est rien autre qu'une altération de la forme française « tenez ». tenue de jeu de paume : humour pris aussi à l'anglais remonte au français humeur au sens de « penchant à la plaisanterie ». Un cas curieux est offert par l'emprunt récent badlands fait à l'anglais qui à son tour est calqué sur le français « mauvaises terres ».
Les emprunts faits par une langue sont parfois géographiquement limités. Ainsi en Belgique l'emprunt allemand bourgmestre est l'équivalent de « maire ». Les tenues de football anglais goal, goal-keeper, back, half, shoot, shooter, hands, corner couramment employés en Belgique sont plus volontiers remplacés en France par les traductions françaises correspondantes : but, gardien de but, arrière, demi, tir, tirer, coup de main (ou main}, coup de coin... Il arrive souvent que l'emprunt prenne dans les pays de la francophonie un sens inconnu ou inemployé par les Français. Les Canadiens francophones emploient couramment char (lat.) pour « automobile ». les petits chars pour « tramway », pamphlet (angl.) pour « brochure, tract, prospectus » : en Suisse le mot fanfaron a pris le sens de « musicien, membre d'une fanfare » : en Suisse et en Belgique auditoire (lat.) est employé pour « salle de cours ». alors que pour les Français de l'Hexagone c'est « l'ensemble des personnes qui écoutent » ou « l'ensemble des lecteurs (d'un ouvrage, d'un journal) : carrousel (ital.) qui en France signifie « variété de parade de cavaliers » a pris en Belgique et en Suisse le sens de « manège forain, chevaux de bois ») (cf. en russe «карусель») : un cannibal (esp.) est pour les Français « un anthropophage » alors qu'en Belgique il reçoit encore le sens de « pain de mie grillé garni de viande crue haché et assaisonné ».
Passons à présent en revue les sources des emprunts faits par le français en suivant autant que possible l'ordre chronologique de leur pénétration massive.
§ 59. Les emprunts aux langues classiques. Le latin, langue-mère des langues romanes, a profondément marqué la langue française. L'enrichissement du vocabulaire français par des vocables et des éléments latins date de la période de la formation de la langue française comme telle et se poursuit jusqu'à nos jours.
On peut dire que le latin a servi de tout temps au français de source inépuisable d'enrichissement. Quant à l'influence du grec ancien, tout en étant assez considérable à partir du XIVe siècle, elle n'est guère aussi illimitée que celle du latin.
C'est surtout au XVIe siècle, à l'époque de la Renaissance de la culture et de l'art antique, que l'influence latine et grecque s'est fait sentir. On trouve une quantité de mots latins et grecs dans les œuvres de Rabelais, de Montaigne et d'autres écrivains de ce temps qui. conformément aux tendances dirigeantes du siècle exprimées dans la théorie de Du Bellay, usaient de tous les moyens et sources possibles pour combler les lacunes dans le vocabulaire de la langue maternelle.
C'est surtout pour remédier au manque de ternies abstraits qu'on a eu recours à l'emprunt aux langues mortes. Ce sont des mots tels que : évolution, concours, éducation, structure, social, énumération, explication, exister, assimiler hésiter (au latin) ; académie, épigramme, hypothèse, sympathie, périphrase, anarchie, économie, politique, aristocratie (au grec).
À coté des emprunts de vocables entiers il faut mentionner un grand nombre d'emprunts d'éléments de mots, de bases formatives etd'affixes. Certains d'entre eux continuent jusqu'à nos jours à servir de moyens féconds de création de mots nouveaux. Signalons les affixes productifs empruntés : -ation < lat. -ationem, -ement < lat. -amentum, -ité < lat -itatem, -ible < lat. -ibilis, -ique < lat. -ïciis. -ïca confondu avec le grec -icos ; -al < lat. -alis ; -isme < lat. -ismus <gr. -ismos ; -iste < lat. -ista < gr. -istes ; -is(er) < gr. -izeïn : anti- < « contre » < gr. anti-. Pas mal de mots sont formés de bases formatives latines et grecques. Telles sont les formations latines : manuscrit (lat. manus + scriptum - « écrit à la main »). vermifuge (lat. vermis = « ver » + fugere = « fuir ») : locomotive (lat locus = « lieu » + motus - « mouvement ») : les formations grecques aérodrome (gr. aêr = « air » + dromos = « course ») : mastodonte (gr mastos = « mamelle » et odous, odontos = « dent »). photographie (gr. photos - « lumière » + graphia = « inscription ») : microphone (gr mikros = « petit » + phône = « voix ») : aérolithe (gr. aêr + lithos = « pierre »). les formations hybrides, gréco-latines : vélodrome (lat velox - « rapide » + gr. dromos = « course »). coronographe (lat. corona + gr. graphia) « instrument d'étude de la couronne solaire ».
On peut dire que l'influence latine sur le français a été si forte que sa structure même s'en est ressentie.
Notons que les mots et les éléments de mots empruntés au latin et au grec ancien sont par tradition appelés « savants » par opposition à ceux qui sont parvenus par la voie populaire.
Cependant le terme « mots savants » est devenu purement conventionnel dans le français moderne. Effectivement beaucoup d'emprunts aux langues mortes ne restent guère cantonnés, comme au moment de leur apparition, dans l'une ou l'autre terminologie spéciale ; ils finissent par s'ancrer dans la langue commune. Nombre de mots étymologique-ment « savants » dont régiment, nature, imbécile, facile, fatiguer, habituer, imaginer sont perçus comme étant d'origine française. Tout Français se sert non seulement des anciens emprunts tels que penser et réfléchir. mais aussi des créations réussies plus récentes comme avion, aviation, téléphone, photographie, magnétoscope, vidéothèque formés à partir d'éléments latins ou grecs.
§ 60. Les emprunts aux langues orientales. Les langues orientales ont enrichi le français d'un certain nombre de vocables ayant trait tant aux mœurs des peuples d'origine qu'aux acquisitions de la culture mondiale.
De l'hébreu le français tient surtout des termes bibliques dont alléluia < hallelou-yah - « louez l'Eternel >>, amen - « ainsi soit-il ». cabale < quabbalah. proprement « tradition », chérubin < keroftbîm. plur. de keroûb - « sorte d'ange », sabbat < schahbat, proprement « repos ». satan < satan - « adversaire ». ensuite nom de l'esprit du mal dans la Bible, séraphin < seraphîm - « sorte d'ange ». Ces mots ont été transmis en français par le latin ecclésiastique.
Le français a aussi adopté quelques mots persans dont la plupart lui sont venus par l'intermédiaire d'autres langues dont l'espagnol, l'italien, l'arabe. Certains d'entre eux qui reflétaient d'abord des phénomènes indigènes ont reçu par la suite un emploi étendu ; tels sont bazar < bazar, caravane < karwan. échec < shah - « roi ». taffetas < tafia, proprement « tressé, tissé », derviche < dervich - « pauvre ».
Il faut accorder une place à part à l'arabe dont l'influence remonte encore au Moyen Âge. surtout à l'époque de l'épanouissement de la culture, de la science, de la philosophie arabes lors de la domination des islamistes dans le bassin méditerranéen et leur séjour en Espagne
Le français doit à l'arabe des termes médico-pharmaceutiques : alcool < al-kohl. élixir < al-iksîr - « pierre philosophale ». sirop < charâb. proprement « boisson » : des ternies de mathématiques : zéro < sifr (qui donne chiffre et zéro par deux transcriptions différentes), algèbre < ald-jabr : des tenues astronomiques . zénith <samt, proprement « chemin » et son doublet azimut < as -samt - « le chemin » : des ternies de chimie . alambic < al-anbîq - « vase à distiller ». alchimie < al-kîmiyâ - « magie noire ». alcali <al-qâly - « soude ». Ce sont aussi des dénominations de cultures et de produits importés : orange < narandj, abricot < al-barqûq. artichaut < harsufa. coton < qutun. loukoum < rahal lokoum - « le repos de la gorge », safran < za'farân. satin <zaytoûnî. proprement « de la ville de Zaitoûn ». nom arabe de la ville chinoise qui porte aujourd'hui le nom Tsia-Toung où cette étoffe était fabriquée.
Ce sont enfin des mots reflétant les réalités et les coutumes des pays arabes : harem < haram. proprement « ce qui est défendu, sacré ». calife < khalifa. proprement «vicaire (de Mahomet) ». émir<amîr, caïd<qâid -« chef de tribu ». fellah <fallâh - « cultivateur » : c'est ici que viennent se ranger la plupart des emprunts plus récents qui ont pénétré dans la langue française après la conquête de l'Algérie dont casbah < quaçaba -« citadelle d'un souverain ». chéchia < châchîya - « coiffure en forme de calotte ». oued- « cours d'eau temporaire dans les régions arides ». djinn -« esprit de l'air, génie ou démon, dans les croyances arabes ». Certaines acquisitions plus récentes se sont teintées d'une connotation familière ou populaire. Ainsi souk et nouba en plus des sens respectifs de « marché couvert » et « musique militaire, comportant des instruments indigènes » signifient dans le langage familier « grand désordre » et « tête, noce » (cf. '.faire la nouba, une nouba à tout casser] : barda < barda 'a - « bagage » ; maboul < mahbûl - « fou. toqué » ; toubib < tbib - « médecin »
§ 61. Les emprunts aux langues romanes. C'est avant tout l'italien qui a laissé une trace profonde dans la langue française. Il a exercé son influence à deux reprises, au XVIe et au XVIIIe siècles. « Son action au XVIe siècle. - écrit A. Darmesteter - avait porté un tel trouble que certains écrivains, comme Henri Estienne. durent prendre la plume pour défendre la pureté de la langue française. » [37, p. 117]. Les emprunts à l'italien sont dus aux campagnes militaires (de 1494 à 1558) en Italie de même qu'à l'influence croissante de la culture italienne
La pénétration et l'établissement des marchands et des banquiers italiens dans les villes du midi de la France ont pour autant contribué à la propagation des italianismes.
Les emprunts à l'italien se rapportent comme en général la plupart des ternies étrangers, à des sphères déterminées de l'activité humaine.
La guerre avec l'Italie et la prise de connaissance avec Part militaire italien ont introduit en français des ternies de guerre comme :, attaquer < attaccare, barricade < barricata, bastion < bastione, bataillon < batta-glione, brigade < brigata, canon < canone : cantine < cantina , cartouche < cartoccio, cavalcade < cavalcata, cavalerie < cavalleria. Cavalier < cavalière, citadelle < cittadella, colonel < colonnello, caporal < ca-porale, escadron < squadrone, escorte < scorta, fantassin < fantaccino. parapet < parapetto, sentinelle < sentinella, soldat < soldato.
Parmi eux quelques termes de marine : boussole < bossolo. Escadre < squadra, golfe < golfo : frégate < fregata.
La similitude de la vie à la cour royale dans les deux pays a contribué à la pénétration de mots tels que : altesse < altessa, ambassade < ambas-ciata, cortège < corteggio, courtisan < conigiano, mascarade < masca-rata, page < paggio.
L'influence de l'art italien en France surtout dans les domaines de l'architecture, de la musique, de la peinture a aussi marqué de son empreinte le vocabulaire français.
Signalons entre autres des tenues d'architecture et d'ornementation : balcon < balcone, cabinet < cabinetto, façade < facciata. belvédère < belvédère, corridor < corridors, pergola ; faïence < faenza, maquette < macchietta, fresque <fresco, mosaïque < mosaïco ; des termes de musique (qui pénètrent surtout au XVIIIe siècle) : ariette < arietta, arpège < arpeggio, concerto, finale (m), duo. soprano, ténor, bel canto, sérénade < serenata, proprement « ciel serein ». barcarolle < barcarola, opéra < opéra, proprement « œuvre » : des termes de peinture : aquarelle < ac-quarella, pittoresque < pittoresco, pastel < pastello.
Les relations commerciales, l'influence du système des finances ont aussi apporté un grand nombre de tenues spéciaux, dont : banque < banca. banqueroute < banca rotta - « banc rompu » (on brisait le comptoir du banquier qui faisait faillite), bilan < bilancio, crédit < crédita, faillite < fàllito.
Nommons encore de la vie courante : brocoli, macaroni, macaron, spaghetti, ravioli, chipolata < cipollata , tombola.
L'influence de l'italien sur le français a été si grande que certains mots italiens ont éliminé les vocables correspondants de souche française. Tel est le cas des mots d'origine italienne canaille, cavalerie, guirlande qui ont supplanté les anciens mots français chenaille, chevalerie, garlande.
Récemment le français a pris à l'italien pizzeria, scampi. - « grosse crevette préparée à l'italienne » : tortellini - « pâtes alimentaires farcies en forme de petites couronnes » ; ajoutons encore paparazzi, papamobile - « voiture blindée du pape » et l'interjection familière tchao.
À peu près vers la même époque, c'est-à-dire aux XVIe. XVIIe, XVIIIe siècles, le français a subi l'influence de l'espagnol. Encore « au XVIe siècle des contacts assez fréquents, notamment par des mercenaires aux années et d'autres immigrants, et par des invasions de troupes espagnoles pendant les guerres de religion, ont introduit en France des mots espagnols... c'est surtout au XVIIe siècle... à la cour de Louis XIII que s'est fait sentir l'influence espagnole et que la littérature espagnole a été connue » [38. p. 169],
Les emprunts espagnols se rapportent à différents domaines de l'activité humaine. Ce sont des termes militaires : adjudant < ayudante. mirador(e) < mirador de mirar - « regarder ». guérilla, caparaçon -« couverture de cheval ». signalons à part camarade qui de terme militaire est devenu un mot de la langue commune ; des termes de marine : embarcation < embarcacion, embargo, canot < canoa ; embarcadère < embarcadero ; des termes musicaux : castagnette < castaneta < castana - « châtaigne ». boléro < boléro - « danseur ». tango ; jota (danse anda-louse), fandango : des termes culinaires chocolat < chocolaté ; vanille < vainilla, tomate < tomate, caramel < caramelo. alberge < alberchiga - « petit abricot moucheté de brun ». Ce sont aussi d'autres vocables différents dont les plus répandus : algarade < algarada - « cris poussés par des combattants ». jonquille <]unquille < junco - «jonc ». mantille < mantilla, carapace < carapacho, infant < infante, hidalgo < hijo de algos - (« fils de qn ») - « noble espagnol », sieste < siesla, créole < criollo, cigare < cigarro, canari < canario, adj. « (serin) des Canaries ». cannibale < cambal, pastille < pastilla , brasero de braxa - « braise »
Nommons encore les termes de tauromachie : corrida, torero, toréador, matador, picador ; espada ; banderille < banderilla : toril - « enceinte où l'on tient enfermés les taureaux, avant la corrida ».
Parmi les emprunts les plus récents citons fiesta . tapas - « petites entrées servies à l'apéritif» ; paella - plat espagnol, à base de riz. de viande blanche et de légumes.
Tout comme pour l'influence espagnole, la pénétration de mots portugais se rapporte surtout au XVP-XVIIP siècles. Ce sont : albinos, mandarin, caste < casta- « race ». fétiche < feitiço ; autodafé < auto da fe -« supplice du feu après l'acte de foi ». caravelle < caravela, bambou < bambu, banane < banana, baroque < barroco - « perle irrégulière ». albinos < albino - du latin alho - « blanc ».
§ 62. Les emprunts aux langues germaniques. L'apport fait au français par l'allemand est assez important. Avant le XVIe siècle les emprunts à l'allemand sont encore peu nombreux. Au XVIIe siècle, avec l'emploi des mercenaires allemands dans l'année française, l'influence de l'allemand se fait nettement sentir. Cette influence s'accroît au XVIIe siècle, surtout pendant la guerre de Trente Ans qui avait conduit les troupes françaises en Allemagne. Les relations commerciales et culturelles plus régulières au cours des siècles suivants, sans oublier les hostilités des époques de la Révolution française et des deux Empires, ont provoqué de nouveaux emprunts. Il est notoire que les deux guerres mondiales n'ont point laissé de trace ce qui est dû à un réflexe de défense linguistique bien justifié.
L'allemand a fourni surtout des termes de guerre dont sabre < Sabel, bivouac < du suisse allemand Biwacht - « patrouille supplémentaire de nuit ». havresac < Habersack - « sac à avoine ». reître < Reiter -« cavalier ». schlague < Schlag - « coup », halte < Hait de halten au sens de « s'arrêter », blockhaus < Blockhaus - « maison charpentée » Ce sont aussi des ternies de musique et de danse tels que : accordéon < Akkordion, harmonica < Harmonica, fifre <empr, du suisse allemand Pfifer - « celui qui joue du fifre », lied - « chant », leitmotiv, valse < Walzer ; des noms d'objets et de produits vulgarisés par les Allemands : chope < Schoppen, vermouth < Wermut, nouille < Nudel, choucroute < emprunté au dialecte allemand en Alsace sûrkrût correspondant à l'allemand Sauerkraut, kirsch - « eau de cerise » < Kirschwasser, schnaps - « eau de vie de pomme de terre ou de grain » : des termes scientifiques et techniques : zing < Zink, potasse < Pottasche - proprement « cendre du pot ». cobalt < Kobalt, aspirine < Aspirin et aussi spath, quartz [kwarts], nickel, ersatz, drille de drillen - « percer en tournant », spiegel < Spiegeleisen - « fer de miroir ». Ce sont encore des mots se rapportant à des domaines différents de la vie quotidienne blafard < empr. au moyen ail. Bleichvar - « de couleur pâle », chenapan < Schnapphahn - « maraudeur », loustic < lustig - « gai », rosse < Ross - « coursier », vasistas > Was ist das ?, nom plaisant de cette ouverture par laquelle on peut s'adresser à quelqu'un.
Les emprunts tels que Reichstag, Wehrmacht, Gestapo, Diktat, An-schluss, Gauleiter, Landtag, Stalag, Bunker, ayant trait aux événements politiques de la dernière guerre mondiale et de l'occupation nazzie. conservent leur aspect étranger et le caractère spécifiquement allemand des notions exprimées.
Ajoutons les acquisitions plus récentes : colorature, handball, stru-del, schlass - qui en allemand signifie « très fatigué » et en français « ivre, soûl ».
L'influence anglaise se manifeste nettement à partir du XVIIe siècle.
Mais c'est au cours du XVIIIe et XIXe siècles qu'un nombre considérable de mots anglais pénètre dans le vocabulaire français. Ce fait s'explique par l'intérêt croissant des Français pour le régime parlementaire établi en Angleterre à la suite de la révolution de 1649 ; c'était aussi le résultat de l'influence de la philosophie et de la littérature anglaises.
L'anglaisa enrichi le français en termes politiques ; parmi les termes ayant trait au système parlementaire et à la vie politique et publique citons : vote, budget (ancien emprunt à la vieille langue française), club, bill, comité < committee, corporation, jury, opposition (dans son sens politique), ordre du jour (d'après order ofthe day). parlement (dans son sens moderne) < partiament, session. Plus récents sont les emprunts : boycotter < to boycott, interview, leader, meeting, lock-mit, blackbouler, reporter, speaker, trade-union, hold-up.
Les termes anglais pénétraient dans le vocabulaire du français durant tout le XIXesiècle par suite de l'essor de l'industrie en Angleterre et des relations commerciales animées avec la France.
On constate un afflux de termes techniques et industriels : rail, tender, tramway, tunnel, express, cargo, travelling, coaltar, pipe-line, cameraman, parking, jersey, cheviot(e) < cheviot, shampooing.
Ce mouvement est loin de s'affaiblir, ce qui peut être illustré par les emprunts récents transistor, jet [dget], télétex, scanner, supertanker, tuner, spoule, know-how.
Les jeux sportifs anglais se sont répandus aussi bien en France que dans d'autres pays et : l'emprunt de tel ou tel sport a amené l'emprunt des termes correspondants : tels sont : sport, sportsman, sportswoman, tourisme < tourism, touriste < tourist, boxe < box, boxer < to box, derby, football, basket-bail, handicap, golf, tennis, match, record, skating, wa-ter-polo, badminton, crawl, roller < ro/lerskater « patineur », supporter (m), partenaire < partner, jockey, starter.
L'intérêt excessif à tout ce qui vient de l'Angleterre est devenu depuis le XIXe siècle une vraie anglomanie pour certaines couches sociales ; c'est ce qui explique un grand nombre d'emprunts se rapportant à la vie journalière, par exemple : bar, bifteck < beefsteak, cocktail, grog, pudding, rosbif < roastbeef, sandwich, gin, tonic, cottage, square, stand, smoking, dandy, snob, festival, sketch, star, flirt, spleen, poster (une lettre) < topost, dancing, music-hall, clown, toast, snow-boot, short, pull-over, sweater, standing, shopping, scotch, self-service, tag, cool.
Le français compte un nombre considérable d'américanismes qui y pénètrent à partir du XIXe siècle. À l'heure actuelle le prestige de l'Amérique en raison de son essor scientifique et technologique contribue à l'afflux de termes venus d'outre-Atlantique. Ce sont, entre autres : celluloïd, cow-boy, rancho. lunch, bluff, blizzard, gangster, kidnapper, hit-parade, blue-jean, bermuda, sporfwear. hot-dog, surf, squatter, yankee, teenager, tee-shirt, fast-food, pop-corn, électrocuter, bulldozer, internet, big-bang.
§ 63. Les emprunts au russe. C'est au XVIIIe siècle qu'on compte dans le vocabulaire français les premiers emprunts faits au russe. Ces mots étaient alors peu nombreux et ils appartenaient à des domaines différents de l'activité humaine. Ces premiers emprunts au russe ne sont encore pour la plupart que des mots exotiques dans le vocabulaire français. Ce sont des mots tels que : archine, artel, boyard, balalaïka, cosaque, datcha, dvo-rnyk, hetman. izba, kacha, knout, kopeck, koulak, mammouth, mazout, moujik, rouble, samovar, steppe, taïga, tchernoziom, téléga, touloupe, toundra, troïka, ukase, verste. vodka, zakouski, intelligentsia.
Ces mots avaient pénétré en France par l'intermédiaire de la littérature russe traduite en français et ils désignaient pour la plupart des phénomènes ayant exclusivement traiï à la vie de la Russie.
La pénétration des mots russes de l'époque soviétique porte un caractère tout différent. Les emprunts faits au russe après la Révolution d'Octobre sont surtout des termes à valeur sociale et politique, ainsi que des termes économiques.
Ce sont des mots qui ont été adoptés intégralement, par exemple : kolkhoze, sovkhoze, komsomol, bolchevik, Soviet : mentionnons encore, d'une part, samizdat qui reflétait les aspirations des démocrates à la liberté de la parole et. d'autre part, le spoutnik qui a fait sensation dans le monde entier.
Parfois ce sont des bases normatives russes auxquelles se sont ajoutés des affïxes internationaux ou français : léniniste, léninisme, kolkhozien, sovkhozien, stakhanovisme, stakhanoviste.
Cela peuvent être aussi des mots qui ont été déjà formés en russe avec des morphèmes ou éléments internationaux : collectiviser, collecti-visation, tractoriste, agit-prop « agitation et propagande »
Une partie des emprunts russes reflétant l'époque soviétique sont devenus des historismes.
Un cas curieux est présenté par le mot lunik qui a été formé en français par l'adjonction à lune de l'élément -ik extrait du mot spoutnik. Ainsi -ik fait figure de suffixe exotique en français.
Les emprunts au russe représentent souvent des calques qui reproduisent la « forme interne » et le sens du vocable étranger par les moyens linguistiques de la langue emprunteuse comme dans : autocritique, plan quinquennal, journal mural, maison de repos, jardin d'enfants, sans-parti, minimum technique, agroville (=agrograd). Citons encore refusnik- sorte de calque-centaure à base française flanquée d'un suffixe russe.
Parmi les mots les plus récents nommons kalachnikov et tokamak (terme de physique), sans oublier les fameux glasnost, perestroïka. Signalons que certains emprunts au russe ont pris une connotation nettement défavorable (cf. : apparatchik, goulag).
§ 64. Les emprunts aux langues des minorités nationales. L'apport fait au vocabulaire du français par les langues des minorités nationales habitant le territoire de la France est moins considérable. Signalons toutefois les emprunts faits au breton qui sont les plus nombreux : goéland < bas breton gwalan - « grande mouette », bijou < bizou - « anneau pour le doigt (biz) » qui a supplanté en partie joyau, biniou — « sorte de cornemuse bretonne », dolmen fabriqué avec deux mots bretons taol -« table » et men - « pierre » et désignant un monument mégalithique; formé d'une grande pierre plate posée sur d'autres pierres verticales, menhir de men - « pierre » et hir - « long » qui est un autre mégalithe.
§ 65. La répartition des emprunts parmi les couches différentes du vocabulaire. Une grande partie des emprunts surgissent dans la langue comme termes spéciaux. Les emprunts ont visiblement complété les diverses terminologies : scientifique, militaire, politique, sportive, etc. Cependant beaucoup de ces vocables, plus ou moins francisés, ont franchi par la suite leslimites de la terminologie à laquelle ils appartenaient primitivement et sont devenus d'un usage courant. Tels sont de nombreux emprunts faits par le français au latin (évolution, structure, social, etc.), au grec ancien (anarchie, politique, économie, etc.), à l'italien (attaquer, brigade, cantine, etc.) ; tels sont aussi certains emprunts faits à l'espagnol (camarade, retable, tango), à l'allemand (accordéon, havresac), à l'anglais (vote, club, rail, express, symposium, snack-bar). ,
Les emprunts peuvent être particulièrement favorisés'dans quelque domaine spécifique. Ainsi, à l'heure actuelle la langue de la publicité qui est la première à refléter l'influence du mode de vie américain (american way of life) abonae'en anglicismes et américanismes (short, coca-cola, drug-store, whisky, walkman - « baladeur » (appareil), Paris by night, etc.)
§ 66. L'adaptation des vocables empruntés au vocabulaire de la langue française. Les mots empruntés s'adaptent à un degré différent au vocabulaire de la langue emprunteuse. L'intensité du processus d'adaptation qui s'effectue sous l'action des lois internes de développement varie selon l'origine du mot emprunté, sa structure, son sens, la sphère de son emploi : elle dépend aussi de l'époque à laquelle se rapporte l'emprunt. Il faut distinguer :
1. Les emprunts qui manifestent une faible adaptation et qui par leur structure figurent dans le vocabulaire du français moderne en qualité de mots étrangers. Ces vocables étrangers qui vivent ainsi en marge de la langue courante sont appelés xénismes (du grec xenos - « étranger »). Ici il faut nommer tous les mots exotiques servant à rendre la couleur locale (entre autres : condottiere, vendetta de l'italien, izha. ukaze, samovar, zakouski du russe, chapska, mazurka du polonais.paria de l'indien, cornac - « conducteur d'éléphants » du cingalais. Beaucoup d'emprunts anglais ou anglo-américains, surtout parmi les plus récents, conservent, eux aussi, leur aspect étranger non seulement pour l'orthographe, mais aussi pour la prononciation, qui reste souvent insolite : cottage, cocktail, groom, whisky, walkman = « baladeur » etc.). Tous ces mots font figure d'intrus dans le français moderne.
2. Les emprunts naturalisés français qui en vertu des modifications phonétiques et morphologiques plus ou moins profondes ne se distinguent plus des mots de souche française.
Il n'y a pourtant pas de cloison étanche séparant ces deux catégories d'emprunts. Entre ces deux extrémités vient se placer un grand nombre de mots d'emprunt en voie d'assimilation. Ainsi qu'on l'a vu d'après les exemples signalés, les mots ne sont guère transférés mécaniquement d'une langue dans une autre. La plupart des mots empruntés subissent des modifications plus ou moins grandes quant à l'aspect phonique, la composition morphologique ou l'orthographe. Ces altérations se font dans le sens de l'accommodation des mots empruntés à la structure des mots indigènes conformément aux lois internes de développement de la langue emprunteuse.
Parmi les emprunts assimilés viennent se ranger en premier lieu les mots d'origine latine et romane qui par leur structure se rapprochent le plus des mots purement français et se confondent souvent avec ces derniers. Les mots d'origine non romane se conforment moins aisément à la langue française. Cependant les lois d'adaptation restent dans les grandes lignes les mêmes pour n'importe quel mot d'emprunt.
En ce qui concerne' la prononciation, la grande majorité des mots d'emprunt s'accommode à l'accentuation et au système de sons du français
L'adaptation à l'accentuation française se fait de la façon suivante :
1. Lorsque le mot étranger est un oxyton, aucune de ses syllabes n'est supprimée : par exemple : caparaçon < esp. caparazon, bouledogue < angl. bull-dog, redingote < angl. riding-coat ; bolchevik (russe).
2. Lorsque le mot étranger est un paroxyton, on conserve souvent l'accent sur la même syllabe ; alors, à cet effet, tantôt on retranche la dernière syllabe, par exemple : artisan < ital. < artigiâno.balcon < ital. balcône,chocolat< esp. chocolaté : tantôt on remplace la dernière voyelle par un e muet, par exemple :cadence< ital. cadénza,mascarade< ital. mascarâta : parfois, cependant, l'accent ne s'est pas maintenu et le paroxyton devient sans aucun retranchement de syllabe un oxyton, par exemple :bravo<ital. bravo,malaria<ital. malaria,guérilla<esp. guérilla,flamenkô< esp. flamenco,loustic< ail. lûstig: partenaire< angl partner,spoutnik <russeспутник.
3. Les cas lorsque le mot étranger est un proparoxyton sont rares, par exemple :piccolô < ital.piccolo, tombola < ital. tombola, caméra < angl. caméra.
Les mots d'emprunt subissent des modifications plus ou moins grandes qui ont pour effet leur adaptation au système de sons du français.
Le système de voyelles des langues romanes méridionales est assez proche de celui du français. C'est pourquoi dans les mots d'emprunt les voyelles sont généralement conservées presque sans changement. Notons pourtant que les voyelles nasales qui n'existent ni en italien ni en espagnol apparaissent dans les mots empruntés à ces langues. Une voyelle nasale est prononcée lorsque le mot d'emprunt comporte une des combinaisons graphiques représentant cette voyelle nasale française, par exemple : bambin < ital. bambino, fanfarron <esp. fanfarron,
Le consonantisme du français et celui des idiomes romans méridionaux offrent plus de divergences.
Tous les idiomes romans méridionaux possèdent la consonne [1] mouillée qui est représentée par gli en italien, par 11 en espagnol, par lh en portugais. Cette consonne existait encore en français, représentée par ill. à l'époque des emprunts massifs aux langues romanes. C'est pourquoi le son étranger a été simplement transcrit en français, par exemple ital pigliare > piller, esp.flotitla > flotille. Au XVIIIe siècle [1] mouillé a été remplacé en français par la semi-voyelle [j].
Le français a longtemps répugné à la prononciation d'un groupe de consonnes sans l'appui d'une voyelle initiale ou médiale. C'est pourquoi les mots italiens scalata, scorta, spalliera, squadrone, scarpino sont devenus en français escalade, escorte, espalier, escadron, escarpin.
L'espagnol possède deux fricatives sourdes inconnues au français La première [0]. qui est une interdentale est reproduite par c devant e et i.par z dans les autres cas. En français elle est transcrite s, ss, c, ç, t, par exemple : cigarro > cigare, caparazon > caparaçon, embarcation > embarcation. La deuxième qui est une vélaire [x] est représentée en espagnol par j. et par g devant e et i : en français elle est rendue par ch par exemple : Don Quijote > Don Quichotte.
Les modifications qui proviennent des divergences entre les sons français et les sons des langues germaniques sont moins régulières Signalons les altérations les plus typiques :
1. Les voyelles des mots d'emprunt sont remplacées par des voyelles françaises plus ou moins proches. Pourtant ces dernières sont fort différentes de celles auxquelles elles se substituent C'est ainsi que la voyelle [A] des mots anglais club et lugger est rendue en français dans le premier cas par [ce], dans le deuxième par [u] (cf. : lougre - « petit bâtiment de pêche ou de cabotage »).
2. La diphtongue [au] représentée en allemand par au. en anglais par ou on ow est parfois prononcée [u] en français par, exemple : all. Sauerkraut > choucroute : clown prononcé [klaun] en anglais devient [clun] en français.
3. De même que dans les emprunts aux langues romanes la combinaison graphique d'une voyelle suivie d'une consonne nasale correspondant à une voyelle nasale française est rendue par cette dernière en français, par exemple : all. Schnapphahn (« voleur de grand chemin ») > chenapan, angl. riding coat > redingote.
Les combinaisons de plusieurs consonnes consécutives sont évitées grâce à la suppression d'une ou de certaines d'entre elles ou à Tintercala-tion d'un e muet, par exemple : angl. Roaslbeef > rosbif, becfsteak > bifteck, all. Landsknecht > lansquenet (au XVe siècle « soldat allemand mercenaire »).
4. La consonne affriquée ch [tf] en anglais est généralement rendue en français par la fricative ch [f |. par exemple : punch - « boisson légère » > punch, check > chèque, challenge > challenge.
5. Le système sonore de la langue russe se distingue profondément de celui du français. Cette différence est surtout sensible dans le domaine des consonnes. La fricative [x] est inconnue au français : elle y est remplacée par l'occlusive [k], écrite kh, par exemple : kolkhoze (cf. : aussi à l'emprunt allemand krach prononcé avec un [ k] final). Les affriquées ч, ц et la fricative щ. sont reproduites plus ou moins fidèlement par les combinaisons graphiques tch, ts et chtch. Mais comme ces sons n'appartiennent guère en propre au français les mots qui les contiennent trahissent aussitôt leur origine étrangère, par exemple : tsar, tchernoziom.
La liquide Ji dure que Ton rencontre dans «кулак» est rendue en français par le simple [1] - koulak.
Notons les modifications les plus nettement marquées dues à l'adaptation des mots d'emprunt au système grammatical du français : la substitution de formes françaises aux formes étrangères correspondantes : penser < lat.pensare, piller < ital.pigliare, réussir < ital. riuscire. hâbler < esp. hablar, boycotter < angl. to boycott, sanatorium au lieu du latin sanatoria. le remplacement des suffixes (par exemple : -ata, italien et -ada, espagnol, ou -er. anglais) par des suffixes français correspondants (par -ade, -eur) ; la francisation des préfixes (ainsi, in- des mots italiens devient en- (em-) en français : imboscare > embusquer, incastrare > encastrer) : la formation de dérivés à partir de mots d'origine étrangère ' accompagnée parfois du rejet d'un affixe originaire sportif (qui a éliminé sportsman). sportivité, footballeur, skieur, monilorage, clownesque, clownerie, kolkhozien, etc : l'application de formes françaises à certains mots étrangers adoptés eux-mêmes dans une forme grammaticale déterminée : quoique macaroni, confetti soient des substantifs pluriels italiens, ils prennenttoutefois un s au pluriel en français : les formes verbales latines lavabo («je laverai »), mémento (« souviens-toi ») tenus en français pour des substantifs en reçoivent toutes les caractéristiques.
La suppression d'un des éléments du vocable emprunté est aussi un indice de sa naturalisation : piano, kirsch, bock, pull, scripte se sont détachés de leurs prototypes étrangers piano-forte, Kirschwasser (« eau de cerise »). Bockbier (proprement « bière de bouc ». désignant une bière très forte), pull-over (proprement « se qu'on passe par-dessus »). script-girl (« personne chargée de noter les détails artistiques et techniques de la prise de vue »).
Quant à l'adaptation sémantique elle mérite d'être examinée à part.
Il est à noter que la majorité des vocables étrangers pénètrent dans la langue réceptrice non pas avec toutes les acceptions qu'ils avaient dans la ' langue donneuse, mais seulement avec une ou quelques-unes d'entre elles. Ainsi le verbe attaccare qui signifie en italien « attacher, joindre, atteler les chevaux à la voiture » (attacar la carrozza) ; « attaquer, assaillir, quereller (attacar lite) ». est entré dans la langue française dans le seul sens d'« attaquer ». Le substantif italien corridore signifie « corridor, galerie ; batteur d'estrade : cheval ; cheval coureur » ; il est venu dans la langue française avec le sens de « corridor ». Le substantif anglais tender veut dire « offre : acompte ; personne chargée de surveiller des malades, des enfants : tender » : dans la langue française tender est employé uniquement comme ternie technique. En anglais le sens propre de clown est « rustre ». En français spoutnik est exclusivement un terme d'astronomie tandis qu'en russe il signifie encore « compagnon de route, de voyage ».
Les mots étrangers polysémiques sont adoptés tantôt dans leur sens principal (sport, hall, bouledogue, building), tantôt dans leur sens spécialisé (ring, crawl, score dont les sens principaux en anglais sont respectivement « anneau ». « ramper ». « coche, entaille »).
Cependant au cours des siècles un mot emprunté peut recevoir des acceptions nouvelles qu'il n'avait pas à l'origine. Il arrive que l'évolution sémantique du vocable emprunté se fasse dans le sens indiqué par son prototype étranger : héler pris à l'anglais au XVIe siècle comme tenue de marine (« appeler un navire ») reçoit son sens moderne élargi sous l'influence de to hail ; concert apparu au XVIe siècle au sens de « accord » commence à s'employer comme terme musical à partir du siècle suivant en s'appropriant ainsi un autre sens du concerto italien.
Toutefois des cas nombreux se présentent où le vocable emprunté acquiert des sens qu'il n'avait point dans sa langue d'origine : box. emprunté à l'anglais au XVIIIe siècle (d'abord « loge de théâtre ». puis « stalle d'écurie ») reçoit en français le sens de « compartiment d un garage » : l'anglicisme standard - « étalon » a reçu en français encore le sens de « dispositif pour centraliser les communications téléphoniques ».
Des cas curieux sont offerts par certains vocables étrangers qui en passant d'une langue dans une autre changent entièrement leur contenu sémantique. Il y a lieu de nommer ici les « faux anglicismes » ou mots qui prennent en français un sens qu'ils n'ont point en anglais. Tel est le cas de footing qui signifie en français « exercice de marche ». sens que ce mot n'a pas en anglais : le speaker qui en France est un annonceur à la radio désigne en Angleterre le président de la Chambre des Communes ou un conférencier ou même un orateur d'occasion à quelque réunion.
Nous avons déjà signalé1 que les mots d'emprunt prennent souvent une valeur émotionnelle péjorative. Tel fut le sort de rosse < all. Ross -« cheval ». relire < ail. Relier - « cavalier ». apparatchik (du russe).
Les modifications sémantiques affectent non seulement le sens (le contenu idéal), mais aussi le signalement. Ainsi un certain nombre d'emprunts d'origine arabe apparus en français au XIXe siècle reçoivent une nuance familière ou argotique. Il en est ainsi de clebs -pop. « chien ». kif-kif-fam. « pareil, la même chose », littéralement « comme comme » (cf. aussi la forme abrégée kifqul est pop. : C 'est du kij- « c'est la même chose »), maboul -pop. « fou ». toubib - fam. « médecin ». Ces nuances stylistiques peuvent s'ajouter aux sens nouvellement acquis en français .bled- proprement « terrain, pays » - s'emploie dans le style familier au sens de « lieu, village isolé offrant peu de ressources » accompagné d'une nuance péjorative ; nouba qui en arabe désignait la musique que l'on jouait à tour de rôle devant les maisons des dignitaires, reçoit le sens de « bombance, noce » dans l'expression familière faire la nouba.
La francisation peut être une conséquence de l'étymologie populaire : les formations anglaises bull-dog- « chien-taureau » et country-danse - « danse de campagne » se sont transformées en bouldogue et contredance. l'italien monte-di-pietà - « crédit de pitié » est devenu mont-de-piété.
Nous n'avons examiné que quelques cas particuliers de l'adaptation des mots au système phonétique, grammatical, lexical du français. D'intéressantes études restent à faire qui amèneront à des conclusions plus générales sur les lois qui régissent le processus d'assimilation des mots étrangers dans la langue française.