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§ 50. La valeur phonologique des voyelles nasales se fait sentir dans l'opposition extrêmement fréquente —

Fig. 18a. Position des lèvres :

Fig. 18. Position des lèvres :

[ce]

- - - [æ]

  • panne

  • canne

  • donne

  • saine

  • pleine

voyelle nasale / voyelle orale (1), et dans d'autres plus raresmais toutefois existantes — voyelle nasale/voyelle orale+con-sonne nasale (2), voyelle nasale+consonne nasale / voyelleorale+consonne nasale (3).1. passer — panser 2. pan

gter — ganter camp

beauté— bonté don

loger — longer sain

tête — teinte plein

quête — quinte

canton — cann(e)tonainsi — Henn(e)sy3. emm(e)ner — am(e)ner

(nous) tînmes — thème (nous) vînmes —veine

Le caractère exceptionnel de cette dernière opposition a fait nier aux représentants de l'école structuraliste la valeur phonologique des voyelles nasales (K- Togeby, B.H.J. We-erenbeck). *

1 Cf. également le tableau des archiphonèmes chez G. G î u g e n-heim. Eléments de phonologie française. P., 1935, p. 17.

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6 Шèгаресêая H. A.

EL

Comme la voyelle nasale ne se retrouve guère devant une consonne nasale (de par son origine, puisqu'une voyelle na­sale provient de la combinaison « voyelle orale+consonne nasale »), il y a donc neutralisation dans cette position, la voyelle nasale ne s'oppose pas а la voyelle orale correspon­dante. La nasalisation cesserait donc être un trait pertinent pour le vocalisme français, les voyelles dites nasales n'étant que des variantes nasalisées des voyelles orales correspon­dantes selon la théorie de certains représentants de cette école.

Or, l'examen des faits réels et concrets du français nous fait voir que cette langue se sert largement de l'opposition — voyelle orale / voyelle nasale — а l'initiale, au milieu, а la fin du mot pour en revêtir différents sens, et par cela même cette opposition reçoit une valeur phonologique incontesta­ble. On peut le prouver sans recourir а la rare série 3 des exemples donnés ci-dessus dus а la chute récente du [æ] :

II y a des bas — il y a des bancs ; j'ai attendu longtemps ce son j'ai entendu longtemps ce son ; // passe а ce moment il pense а ce moment ; а — en, etc.

§51. L'origine des voyelles nasales pose beaucoup de problèmes et suscite maintes discussions. Nombreux sont les linguistes qui attri­buent l'apparition des voyelles nasales en français а l'influence du cel­tique (E. Bourciez, A. Dauzat). En effet la nasalisation s'est effectuée dans les parlers des pays autrefois occupés par les Celtes : la Gaule, la Gaule Cisalpine (le nord de l'Italie dont les dialectes connaissent les voyelles nasales), la péninsule Ibérique (le portugais compte six voyel­les nasales). Pourtant nos connaissances des langues celtiques sont tel­lement imparfaites que nul ne saurait affirmer l'existence des voyelles nasales-phonèmes en celtique. D'autant plus que les derniers restes du celtique ont disparu en Gaule vers le IVe siècle tandis que les voyelles nasales sont devenues phonèmes en français seulement vers le XVIIe siècle, ce laps de temps confirmant l'impossibilité d'une influence pho­nologique quelconque, si toutefois il est possible de parler d'une influ­ence phonologique.

Les assonances des poèmes du moyen ge prouvent le caractère non phonématique des voyelles nasalisées aux IXe — XIIe siècles. A l'é­poque ce n'étaient que des variantes nasalisées des voyelles orales cor­respondantes avec lesquelles celles-lа formaient des assonances.

Quar il lo fel mescelen ab vin nostre senior lo tenden il. Amicx, dis Jhesus lo bons per quern trades in baisol.

(« La passion du Christ », Xe s.)

Oliviers sent que a mort est feruz de lui vengier targier ne se volt plus tient ha I tec 1ère dunt H aciers fut bruns

(« Chanson de Roland », XIe — XIIe ss.)

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Aucassins li beaux, li blonz Li gentils, li amores.

(« Aucassin et Nicolette », XIIIe s.)

Néanmoins, а supposer que le celtique ait connu une nasalisation marquée, il convient d'admettre l'influence de sa base d'articulation sur celle du latin parlé importé par des guerriers et des marchands ro­mains. Cette influence devait avoir renforcé les tendances qui existaient déjа en latin vulgaire depuis le IIe siècle avant notre ère, notamment celle d'assimiler la voyelle а la consonne nasale qui la suivait.

Toute voyelle précédant une consonne nasale était donc nasalisée. Celle qui se trouvait dans la syllabe fermée l'était davantage, les deux sons, voyelle et consonne, appartenant а la même syllabe. C'est а l'ac­commodation régressive, а l'abaissement du voile du palais par antici­pation pendant l'articulation de la voyelle, que celle-ci doit son carac­tère nasalisé. Le fait est prouvé aujourd'hui par l'analyse spectrogra-phique des sons nasaux, voyelles et consonnes. Parmi les trois formants qui caractérisent les voyelles nasales le formant а fréquences basses x est le plus typique. Et ce sont les fréquences basses justement, propres а la nasalité consonantique, qui se répandent sur le domaine de la voyelle précédente. 2 C'est lа le mécanisme phonétique de la formation des voyelles nasales.

Or, plusieurs autres langues, telles, parmi les langues romanes, l'es­pagnol et l'italien, connaissent une pareille accommodation, sans tou­tefois avoir formé des voyelles nasales-phonèmes. La distinction « na­sale/orale » est restée, dans ces langues, au niveau phonétique, sans avoir créé une nouvelle valeur phonologique.

L'accommodation а elle seule ne suffit donc pas а expliquer l'ap­parition d'une nouvelle classe de phonèmes. D'autres phénomènes d'or­dre linguistique devaient l'avoir secondée.

En effet, la formation des voyelles nasales, en français, est liée а la disparition en syllabe fermée des consonnes nasales, consonnes а ten­sion décroissante. La chute des consonnes а tension décroissante, ou bien la réduction des groupes de consonnes au dépens de la première, est une des lois phonétiques les plus stables que le français connaît depuis son origine jusqu'а nos jours (le latin vulgaire nous en donne beaucoup d'exemples : auctor^>autor, ansa^asa, etc.). Elle a eu pour conséquence la création des syllabes ouvertes — syllabes-type du fran­çais. La disparition des consonnes nasales a contribué non seulement а la formation, dans un grand nombre de mots, des syllabes ouvertes,

1 400 — 800 p/s d'après les données de R. Heffner et de R. Paget.R. Heffner. General Phonetiks. Madison. 1949; R. Paget. HumanSpeech. London, 1930.

2 M. Durand prétend avoir trouvé des fréquences hautes de 7500 p/sparmi les formants du [а] ce qui lui permet de douter du fait que la na­salité vocalique soit due а l'assimilation d'une consonne nasale, les con­sonnes nasales n'ayant jamais eu ces fréquences hautes. (Voir « Studialinguistica», VII, 1953). Or, ses données spectrographiques ont été con­testées dans les travaux de P. Delattre. Studia linguistica. VIII, 1954et de ceux de È. Г. Жгентè. Ôîнетèчесêèé сбîрнèê, I, Тбèлèсè,1959. (Нîсîûе гласнûе ôранцуçсêîгî яçûêа).

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mais aussi а la création de nouveaux phonèmes — les voyelles nasales : bonté [Ъ5.'te], ganter [g/te], dompter [dô.'te], compter [ko.'te]. x

Par contre, quand la consonne nasale se trouvant au début d'une autre syllabe s'est maintenue, la voyelle précédente est restée orale : donner [do'ne], union [y'njô]. La dénasalisation totale ou partielle de la voyelle nasale dans les groupes — mon ami [mona'mi], plein air [ple'ne:^], bon enfant [bDn'fa] en français moderne est une consé­quence de la réapparition de la consonne nasale en cas de liaison.

Le français avait encore d'autres raisons toutes particulières qui le poussaient а la création de nouveaux phonèmes. C'est que la dispari­tion de l'appendice consonantique ne se produit que dans le cas oщ son maintien pourrait amener une confusion avec quelque autre modèle phonologique. Ce qui arrivejustement au moment de l'amuïssement de e final, bonne passant а [bon] et rivalisant de ce fait avec bon [bon]. La valeur grammaticale et la signification lexicale pouvant être attein­tes, il se^constitue une distinction phonologiquejiouvelle : l'opposition [Ьсïэ/bon] est remplacée par cette autre [bon/bô]. La nasalité acquiert désormais un caractère phonologique.

La distinction phonologique « orale/nasale » s'est affermie défini­tivement au XVIIe siècle а l'époque oщ a commencé а disparaître le e final créant а la finale des mots l'opposition : orale — nasale — ora­le^-consonne nasale. 2

Citons des exemples : beau bon bonnes ['bo — 'bô — 'bon], dos don donne [do — 'dô — 'don], tôt ton tonne ['to — 'to —'ton], seau son sonne ['so — 'so — 'son], dais daim daine ['de — 'de — 'den], sait sain saine ['se — 'se — 'sen] raie rein renne ['tfe — '#§ — 'KЈn], bas ban banne ['ba — 'bа — 'ban], pas pan panne ['pa — 'pa — 'pan], cas camp canne ['ka— 'ka — 'kan], etc.

Comme différents phénomènes se déterminent les uns les autres et se trouvent en interaction permanente, la constitution des phonèmes nasals-voyelles est la conséquence de plusieurs faits d'ordre phonétique et phonologique qui vont de pair : la dénasalisation de la voyelle devant une consonne nasale prononcée et conservée par la suite, l'élimination de l'appendice consonantique, l'amuissement de e final.

La monophtongaison des diphtongues (XIIIe siècle) a en quelque sorte appauvri le vocalisme français. Les consonnes disparaissant а la fin du mot et de la syllabe, le volume du mot français diminue considé­rablement aux XIVe et XV° siècles (les mots les plus employés se compo­sent de deux ou trois sons). La formation de nouveaux phonèmes — les voyelles nasales — a donc considérablement renforcé le vocalisme du français, et a contribué а la différenciation des mots monosyllabiques et dissyllabiques, qui constituent la majorité du vocabulaire français : bonté beauté [bô.'te — bo.'te], bain baie ['b§ — 'be], pain paix ['pê'—pe], daim dais ['de — 'de], teinttaie ['te— 'te], fin fait ['fi — 'fe], conter coter [kS.'te — ko.te], dompter do­ter [dô.'te — do'te], longerloger [lô/çе — Ь'çе], etc.

1 Nous observons les mêmes relations étroites entre la disparition desconsonnes nasales en syllabes fermées et la formation des voyelles nasalesen portugais et dans les anciennes langues slaves. Pour les langues slavesse rapporter aux ouvrages suivants: H. Grappin. Introduction phoné­tique а l'étude de la langue polonaise. 1944, p. 56; A. M. Селèще .Старîслаянсêèé яçûê. Ч. I. M., 1951, стр. 143.

2 Cf.: A. Martinet. Le français sans fard. P., 1969, ch. IX.

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