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§ 5 . TEXTES POUR REDIGER UN COMPTE RENDU

 

sions viennentfilmer, Mantes-la-Jolie, Evry, etc.

]

Resultat, да rend la vie impossible a ceux qui

 

veulent s’en sortir, dit-il. Ils sont victimes de dis-

l

crimination a cause du lieu qu’ils habitent. Ils

;

sontjeunes, done violents, done dangereux ».

:A tel point, qu’une mefiance reelle s’est developpee. Apres un reportage sur Mantes-la- Jolie diffuse en avril, des jeunes sont venus le voir en lui disant: « Il nefaudrait plus qu’ils viennent pourfaire ces images-la », raconte le charge de prevention.

Les medias, sur ces questions precisement,

;gonfleraient l’evenement, les hommes politi- ^ ques prendraient ensuite appui sur ces images et sur le bruit mediatique qui en decoule pour ■« decreter des augmentations du nombre depo- l liciers ou des couvre-feux », « ce qui n’aboutit

1 a rien depositif», deplore Sidi El Haimer.

Seules deux emissions, toutes les deux diffusees sur la chaine de proximite de service public, France 3, donnent a voir et a enten­ dre un autre miroir de la jeunesse. L’emission

«SagaCite » parle de la vie urbaine en prenant le temps de comprendre le fonctionnement qui regit chaque univers distinctement. Une autre,

«TeleCite », diffusee dans le Centre et la re­ gion parisienne, et plus recemment dans le Pas-de-Calais, forme des jeunes a la pratique de la television en leur donnant du meme coup l’occasion de s’exprimer dans leur propre cadre sur des sujets qu’ils choisissent. Une initiative qui affiche une belle audience mais qui peine, ce n’est pas le moindre des paradoxes, a reunir les subventions necessaires a sa plus large diffusion.

F.Am

Le Monde

T E X T E 9 * *

LES LANGUES QUI M EU REN T ET CELLES

QUI N A ISSEN T

e frangais est-il promis a devenir, unjour, Lune langue morte ?La question n’est pas ridicule. « Tous les ans, vingt-cinq langues disparaissent », alerte Claude Hagege1. A ce rythme, la moitie des six mille langues parlees actuellement — dont deux mille en Afrique ! —aura ete rayee de la carte avant la fin du siecle. Les experts les plus pessimistes avancent meme le chiffre de 90%! L’anglais est bien sur montre du doigt. Langue des affaires, de la diplomatie, de la communication... il est devenu « the » langue internationale, a l’ex-

clusion de (presque) toutes les autres.

Mais la langue de la puissante Amerique n’est pas seule en cause. Celles des anciens colonisateurs continuent de faire des ravages sur tous les continents. Espagnol et portugais ont terrasse des centaines de langues indiennes en

Amerique. Le frangais demeure la langue officielle de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. Le danger peut aussi venir des langues locales les plus dynamiques —surtout celles parlees par les elites urbaines —, comme le swahili, qui tend a s’imposer au detriment de dialectes d’Afrique de 1’Est, ou le woloff au Senegal.

Le principe est toujours identique: un groupe dominant impose sa langue aux autres. Soit par la force (anglais contre gallois ou irlandais). Soit, plus insidieusement, par le pouvoir d’attraction du modele economique et social.

Langues et cultures sombrent ensemble. « Dans ce cas, les gens abandonnent vo-

lontairement leur langue pour parler la langue du pouvoir », explique Louis-Jean Clavet, linguiste a I’universite d’Aix-Marseille. En Fran-

1 Claude Hagege — linguiste frangais.

C H A P I T R E I V . C O M P T E R E N D U

ce, Bretons ou Provengaux du siecle dernier ont souvent impose le frangais a leurs enfants, pensant leur donner plus de chances de reussir... Avec la mondialisation, ce phenomene va s’accelerer.

Avec une langue, ce n’est pas qu’un outil de communication qui disparait. C’est toute une culture et une representation du monde qui sont englouties a tout jamais. « Les Inuits ont ainsi plusieurs dizaines de mots pour de­ signer la neige », explique Louis-Jean Clavet. Certains peuples du Pacifique savent nommer des centaines de poissons, informations precieuses pour les scientifiques ! Quant au japonais, il reflete l’organisation de la societe. On n’y parle pas de la meme fagon selon son statut social (l’ordre des verbes, par exemple, change) ou selon que l’on est un homme ou une femme.

Chaque langue est intimement liee a l’identite du peuple qui la parle. Pas etonnant que certains irreductibles la placent au centre de leurs revendications identitaires. C’est le cas du corse, du breton ou du basque en France. Apres des annees de combat, ils ont desormais droit de cite dans les ecoles et lycees, meme s’ils ne concement que 3% des eleves... Au Quebec, les Indiens Mohawk ont obtenu, outre sa reconnaissance officielle, que leur langue soit desormais enseignee a l’ecole a cote du frangais et de l’anglais. Cela suffira- t-il a la sauver ?

Souvent destructeurs, les evenements po­ litiques prennent parfois un tour inattendu, en donnant naissance a de nouvelles langues. Ainsi, le serbe et le croate, fusionnes au cours du XIXе siecle, ont de nouveau eclate en deux langues apres la guerre de 1991 en ex-Yougos- lavie, tout comme le tcheque et le slovaque, apres la partition de la Tchecoslovaquie. Pour l’instant, ces langues se ressemblent. D’ici a quelques dizaines ou centaines d’annees, il

se peut qu’elles aient tellement evolue que les gens ne se comprendront plus, note LouisJean Clavet. C’est deja presque ce qui arrive entre Allemands et Suisses allemands...

Hormis les crispations identitaires, des langues continuent de se creer tout naturellement. « On en voit les premices en Afrique, oil des formes de frangais commencent a emerger ». Au Senegal, on fait son plein dans une « essencerie ». Les Congolais ont un « bu­ reau » la ой les Parisiens ont une « maitresse ». Dans l’Ouest de l’Afrique, on « parcceurise » ses legons... ou du moins on essaie. Le meme mouvement est en cours pour l’arabe. Deja, un Egyptien et un Algerien eprouvent une certaine difficulte a se comprendre.

Explorer les langues...

sesam e de la seduction

Un jour ou l’autre, l’anglais — eh oui, meme la langue de Shakespeare ! — subira le meme sort. La regie est implacable. « Plus une langue se repand sur un vaste territoire, plus elle est assuree de disparaitre a terme », explique Louis-Jean Clavet. Comme le latin a donne naissance au frangais ou a l’espagnol. Face a l’affolement de ses collegues, le linguiste se veut rassurant: « Les langues ne sont pas des bebes phoques menaces aujourd’hui. De tout temps, certaines langues sont mortes et d’autres ont fait leur entree en scene ».

Et puisqu’on ne parlerajamais tous le meme langage, le meilleur sesame pour decouvrir les gens reste d’apprendre leur langue. Ecoutons plutot les conseils de Claude Hagege: « Il est absurde pour un jeune Frangais de vouloir seduire une Italienne en anglais, une langue qui n’est familier ni a l’un ni a l’autre... » Si meme les specialistes le disent...

Laure Cailloce

Phosphore

§ 5 . T E X T E S P O U R REDI GE R U N C O M P T E R E N D U

T E X T E 1 0 * *

L A G L O B A L I S A T I O N S E L O N B A R I C C O

« Le Monde » publie en exdusivite un extrait de « Next », le prochain livre de Pecrivain italien a succes Alessandro Baricco. L’auteur de « Soie » bouscule avec esprit les cliches sur la mondialisation.

Si vous n’etes pas un « no-global », un militant antimondialisation, il у a des chances pour que vous ayez des chaussures Nike ou Adidas, que vous fumiez des Marlboro ou des Philip Morris, que vous ameniez vos enfants voir les films de Walt Disney, que vous alliez au Me Donald’s et qu’en ce moment meme vous portiez du Calvin Klein. Je vais essayer de le dire de fagon plus exacte: il est proba­ ble que pour la plupart d’entre nous le monde tel qu’il est amenage par le reseau des grandes marques n’apparait nullement comme un lieu inhumain mais au contraire comme un monde vivant, en un certain sens riche, et en tout cas interessant a habiter. II nous apparait de fagon assez normale comme un monde essentiellement libre, une sorte de manege sur lequel nous montons et descendons quand nous voulons: nous montons en disant« C’est nul », et nous descendons en disant «Je reviendrai ».

Faut-il en conclure que nous sommes tellement lobotomises maintenant que nous ne sommes meme plus capables de comprendre ? Ce serait commode. Mais je crois que la verite est ailleurs. La verite est que nous som­ mes juste un peu lobotomises. Nous sommes lucides, quand nous prenons part a la grande fete, nous le faisons avec nos cellules grises branchees, avec une part de notre cerveau que nous ne pouvons pas sous-estimer, mais il faut essayer de le comprendre.

Notre intelligence fonctionne de cette fa- gon-la parce qu’elle le connait, ce terrain. Et quand elle ne se bloque pas sur ses instincts moralisateurs, elle cesse de tricher avec elle- т ё т е et s’en tient aux faits. Les faits, c’est que lorsque vous achetez une paire de Nike vous payez cent euros pour le nom et cinquante pour les chaussures. Est-ce que vous etes idiot ? Non. Vous etes en train d’acheter

un monde. Qu’est-ce que да peut vous faire ce qu’elles valent, en cuire, en caoutchouc et en travail, ces chaussures ? Vous achetez un monde. Des gens libres qui courent, presque toujours beaux, generalement plutot elastiques comme MichaelJordan, et de toute fagon tres modernes. Vous, dans ce monde-la. Pour cent cinquante euros.

Si vous trouvez que c’est un geste imbe­ cile ou pueril, alors pensez a ceci. Vous allez au concert. Beethoven. Musique de Beetho­ ven. Vous avez paye votre billet. Qu’avez-vous achete ? Un peu de musique ? Non, un mon­ de. Une marque. Beethoven est une marque, construite au fil du temps autour de la figure d’un genie sourd et rebelle, alimentee par deux generations de musiciens romantiques qui ont cree le mythe. De qui descend, en ligne directe, une marque encore plus puissante: la musique classique. Un monde. Ce que vous avez achete, ce n’est pas un peu de musique : dans le prix, il у a aussi l’acces a une certaine vision du monde, la foi dans une dimension spirituelle de l’humain, la magie d’un retour provisoire au passe, la beaute et le silence de la salle de concert, les gens qui sont autour de vous, l’inscription dans un club plutot re­ serve et generalement selectif. Vous avez loue un monde. Pour l’habiter. Ils 1’ont construit pour vous avec infiniment d’habilete, et vous, vous l’achetez. L’ont-ils construit parce qu’ils etaient bons et intelligents ? Ils l’etaient peut- §tre, mais ils l’ont certainement construit pour la meme raison qui a pousse Nike a construire le sien : l’argent. Que je sache, Beethoven ecrivait pour de l’argent, et de lui jusqu’a la maison de disques d’aujourd’hui, et jusqu’au pianiste qui est en train de jouer pour vous, ce que vous avez achete a ete construit par des gens qui voulaient des tas de choses, mais en­ tre autres, une : de l’argent.

Je sais que да choque de dire да, mais ce qui nous choque tant, quand il s’agit de chaussu­ res ou de hamburgers, est une experience que nous faisons, sans aucune resistance, quand

C H A P I T R E I V. C O M P T E R E N D U

il s’agit de choses plus nobles. Beethoven est une marque. Les impressionnistes frangais en sont une. Kafka en est une. Shakespeare en est une. Umberto Eco egalement. Et aussi La Republica, ou « Mickey », ou la Juventus. Ce sont des mondes. Qui signifie bien plus que ce qu’ils sont. Ils ont leurs regies, et nous les acceptons. Pour dire : nous nous persuadons que les frites de Me Donald’s sont bonnes avec la meme absurde complaisance qui nous persua­ de que Beethoven n’a jamais ecrit de morceau laid ou inutile, que tout Shakespeare est ge­ nial, que Mickey n’a pas de parents, et que La Republica ecrit toujours la verite. Qa fait partie du jeu. Et c’est un jeu dont nous avons besoin. Nous avons tendance a preferer tout ce qui se presente a nous avec la force organique d’un monde, et pas seulement la pure presence d’un objet, meme s’il est beau. Nous sommes reconnaissants envers celui qui est capable de met­ tre en place des mondes. Ce sont des assuran­ ces contre le chaos, ce sont des organisations salvatrices du reel. Je ne crois pas qu’il soit necessaire de noter combien le monde mis en place par Kafka est plus riche, plus complexe et plus intelligent que celui etudie par Me Do­ nald’s. Nous le savons. Mais cela ne doit pas nous empecher de comprendre que le jeu est le meme, que le type d’experience est le meme, que le monde de Kafka n’est pas plus reel que le monde de Me Donald’s, que la visite d’une

exposition des impressionnistes frangais fait travailler notre cerveau exactement comme un petit tour a Niketown, que tout compte fait cette experience-la nous la connaissons, nous nous en servons largement, nous l’utilisons pour transmettre des choses tout a fait dignes, et que pour finir elle ne nous fait pas peur, nous ne croyons pas que ce soit le diable, si le diable existe, il est ailleurs.

On dira : oui, mais Beethoven n’exploitait pas les Indonesiens de maniere ehontee, pour fabriquer ses chaussures. A quoi on pourrait objecter, si on voulait etre cynique et polemique, qu’une grande partie de la musique classique est nee parce que payee par un monde aristocratique qui ne plaisantait pas en matiere d’exploitation. Mais la question, en realite, est ailleurs. Si Nike exploite les travailleurs, il faut arreter да, c’est tout. Mais reporter toute notre condamnation, brutalement, sur l’idee de mar­ que, en diabolisant le type d’experience qu’elle suggere est contreproductif: cela rend inutilisable une categorie, celle de « marque », qui est une part historique de notre culture, et qui est probablement indissociable de toute idee de globalisation, у compris les plus humaines et les plus positives. Comment construire quelque chose si nous jetons a la poubelle les outils pour le faire ?

Alessandro Baricco

Le Monde

T E X T E 1 1 * *

LA C H R O N I Q U E

LA T Y R A N N IE DE L’AGE

A certains moments, le pouvoir appartient aux plus jeunes, qui monopolisent richesses et privileges, laissant les vieux dans la misere. A d’autres epoques, ce sont les anciens qui dominent, vivant en general dans l’instant present, negligeant l’avenir — т ё т е celui

de leurs enfants — qui ne les concerne plus. Aujourd’hui, nous sommes a la charniere en­ tre deux regnes : les generations les plus mu­ res font la loi, mais les autres commencent, de fagon encore diffuse, a remettre en question ce rapport de forces. La greve des lyceens, les

§ 5 . TEXTES POUR REDIGER UN COMPTE RENDU

revoltes dans les banlieues, la discussion du budget et la crise financiere internationale sont des reflets, parmi d’autres, du debut de ce conflit planetaire entre les generations.

Malgre les apparences culturelles, qui mettent en avant une jeunesse idolatree, la domination des plus murs est universelle. Depuis au moins vingt ans; la priorite de la lutte contre l’inflation sur la lutte pour l’emploi est une marque de la domination des seniors sur la vie economique et politique de l’Occident. Les raisons tiennent au marche, qui privilegie les groupes sociaux solvables, et a la democratic, qui favorise les electeurs. Cette domination est aujourd’hui remise en cause. En France, les jeunes des lycees et ceux des banlieues, dramatiquement coupes les uns des autres, viennent reprocher aux adultes de ne pas consacrer assez d’argent a la preparation de leur avenir, alors que, de leur point de vue, le budget multiplie les cadeaux fiscaux en faveur des retraites et des detenteurs de grosses fortunes. Partout dans le monde, les fonds de pension, obsedes par l’idee de servir a chaque instant aux retraites les meilleures rentes pos­ sibles, pourchassent l’inflation, qui favorise les emprunteurs, et extorquent des dividendes, meme au prix du chomage des jeunes.

Cette tyrannie de l’age n’est pas sans consequence dans les pays ou elle sevit: la de­

mographic s’effondre, l’education est sous-fi- nancee, l’environnement n’est plus protege, le court terme impose sa loi. Les jeunes se revolteront de plus en plus contre cette situation. En France, les plus favorises demanderont encore plus de professeurs pour leurs lycees, et les plus desesperes casseront tout dans leur banlieue. Au Sud, il у aura des revoltes plus violentes encore contre les elites. La ou les jeunes perdront cette bataille, comme ils la perdent regulierement depuis vingt ans, le de­ clin des nations est assure. La ou ils la gagneront, une tyrannie inverse est possible et un age noir peut s’annoncer pour les personnes agees: moins de retraites, moins de securite, plus d’inflation.

A moins d’entendre a temps ces grondements et de reequilibrer la repartition du revenu national, des pouvoirs, des valeurs entre les generations, au profit des plus jeunes et meme des generations a venir. On reconnaitrait alors qu’une augmentation massive du budget de l’Education nationale est une priorite absolue, que l’inflation n’est pas sans vertu et que, sans le sacrifice de quelques jouissances du pre­ sent, il n’y aura plus personne, a l’avenir, pour se souvenir de nous.

Jacques Attali

L’Express

T E X T E 1 2 * *

Les grammairiens et les linguistes s’inquietent de son appauvrissement

LE LA N G A G E, V IC T IM E DE LA T E L E V IS IO N

La culture audiovisuelle standardisee afaitperdre son ame aux mots.

PAR CATHERINE DELSOL

Aujourd’hui, le boulanger de la Creuse se dit « interpelle » par l’augmentation des charges. La fermiere de l’Yonne parle, elle, du « stress » de ses vaches et de la « galere » de sa fllle pour trouver du travail. L’octogenaire d’un village breton raconte le premier « hold-up »

commis dans une banque proche et soupire sur la coiffure « punk » de sa demiere petitefille. C’est l’un des miracles de la civilisation audiovisuelle, ou les mots nouveaux, les modes du langage, et meme les emprunts a une langue etrangere, sont immediatement relayes

C H A P I T R E IV. C O M P T E R E N D U

et penetrent massivement dans les foyers, dans les appartements du boulevard Saint-Germain comme dans les HLM des banlieues chaudes ou au plus profond de nos provinces.

Grammairiens, linguistes, sociologues et sociolinguistes etudient le phenomene depuis quelques annees avec interet. « Dans mon enfance des annees 50 en Bretagne, beaucoup de campagnards ne parlaient que le breton, icrit Girard Le Febvre, dans Le Choc des teles. Aujourd’hui, au bout de trente-cinq ans de tele­ vision, a raison de plus de deux heures defrangaisparjour etpar individu, la langue bretonne est entree au musee. Certains tentent tout de meme de la maintenir sous perfusion dans quel­ ques universites, mais il aura suffi de quelques annees de televisionpourparachever une oeuvre de centralisme technocratique qu’il avaitfallu des sieclespour construire. »

Messages repetitifs

A sa fagon, done, la television a reussi a sortir les regions les plus reculees de France de leur isolement et contribue a reduire leur decalage d’avec le reste du pays. Chaque jour, les memes emissions sont regardees au meme moment par des millions de personnes. Images et messages, souvent repetitifs, sont distribues a un enorme public totalement passif, qui sera tente ensuite de reprendre les mots et les expressions qu’il vient d’entendre. « Par la voix des hommespoli­ tiques, desjournalistes, desgens du spectacle, mais aussipar Vintermediaire de lapublicite, des tournures dephrases sepropagent, desformes anciennes reprennent vie, des modes lexicalesfont leur apparition et se developpent », souligne ainsi Henriette Walter, professeur de linguistique, auteur du Frangais dans tous lessens.

Elle note, par exemple, que c’est par le biais des medias que des mots comme « interpeller », « assumer », « s’investir », « securiser », « responsabiliser », «privilegier », «poserprobleme », ou les adjectifs comme « fable », « performant», ou « incontoumable » sont aujourd’hui largement utilises, alors qu’ils font partie d’un vocabulaire abstrait avec une large coloration philosophico-psychologique. « On peut concevoir que ce vocabulaire, faussement ou vraiment intellectuel, puisseporter sur les netfspar son caractere repetitifou pretentieux, mais sur le plan dufonctionnement de la langue, il n’a rien pour choquerles amateurs defrangais », affirme Hen­

riette Walter. « Pourquoi ne pas creer le verbe " privilegier " alors que " privilegie " n ’a jam ais

f a it sourcillerpersonne ? »

Ainsi, recuperes, digeres, puis relayes par l’audiovisuel, les mots se foment, se transfor­ med, se deferment. Et ceux que Ton considerait hier comme des barbarismes apparaissent aujourd’hui pour les linguistes comme des signes de bonne sante d’une langue toujours ca­ pable d’evoluer.

La, cependant, s’arretent les bienfaits du langage audiovisuel. Car le revers de la medaille, c’est que pour etre compris du plus grand nombre, les professionnels de la television parlent pour la plupart un frangais standardise, stereotype, oh Ton ne sait trop ce qui l’emporte de la pauvrete du vocabulaire ou du laisseraller syntaxique. Une langue bizarre ou l’ecrit et l’oral se telescoped puisque, la plupart du temps, les textes des presentateurs sont rediges mais cherchent a se rapprocher le plus possible de la conversation. Peu reussissent cet exercice perilleux et, pour un Pivot, un Decaux, un de Closet ou meme un Bouvard, combien trans­ formed leur emission en une suite de phrases qui se telescoped, en un discours decousu, au vocabulaire repetitif et vague.

Complicite

« Super », « gen ial», « co ol», ces mots a la mode qui pour les adolescents expriment la sa­ tisfaction, le plaisir ou l’admiration, sont repris chaque jour sur les petits ecrans. Sans doute etait-ce au depart pour creerune meilleure com­ plicite avec les jeunes, mais au fil des annees ils se sont imposes partout en France. A 1’heure des avions supersoniques et du TGV, ces mots sans ame et sans reelle signification ont un avantage : ils permettent de se faire comprendre tout en evitant de reflechir pour trouver l’adjectif precis capable de traduire les nuances de la pensee. Le danger, c’est que Ton passe ainsi de l’unifomisation du langage a la pauvrete.

Meme chose pour les anglicismes mal dige­ res ou employes systematiquement par paresse intellectuelle ou snobisme. Ancien commissaire general de la langue frangaise, aujourd’hui conseiller de TF 1, Philippe de Saint-Robert a ainsi du se battre pour que les « snipers » bosniaques brutalement apparus aujournal televise deviennent les «francs tireurs » qu’ils auraient toujours du etre. L’autre danger d’appauvrisse-

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§ 5 . TEXTES POUR REDIGER UN COMPTE RENDU

ment de la langue provient de l’internationalisation desprogrammes:lesjeux, lesvarietes, les feuilletons, les dessins animes doivent pouvoir etre vendus dans le monde entier et regardes par tous les publics, у compris les plus illettres. Gerard Le Febvre cite a ce propos une etude de l’Unesco dont la conclusion n’incite guere a 1’optimisme: « La circulation intemationale des produits est unfacteur de simplification des codes et des conventions de la fiction televisee [...]. On aboutitde lasortea un langageuniversel mais pauvre, fait de signes clairs, lisibles, faciles a interpreter, decodables d’un bout a Vautre de la planete: un" sabiriconique" en quelque sorte », soulignait, des 1982, ce document.

Les premiers a avoir, sinon disceme le pheпотёпе, du moins a l’avoir assimile et utilise a leur profit, sont les hommes politiques. Pour seduire le plus grand nombre d’electeurs potentiels, ils ont peu a peu simplifie leur discours. Laurent Fabius se vante par exemple de n’employer que deux cents mots quand il parle a la television. On en arrive done a ce paradoxe que meme ceux dont la formation et la culture laissent supposer qu’ils pourraient s’exprimer correctement, par demagogie ou prudence, se cou-

lent dans le moule audiovisuel d’un vocabulaire reduit a sa plus simple expression.

Faut-il en conclure que les medias de mas­ se generent de fagon irreversible une langue de masse ? Les linguistes en sont persuades, meme s’ils estiment qu’on n’en est qu’au debut de revolution. Et selon toute vraisemblance, rien ne viendra contrebalancer ce mouvement de decomposition du frangais: ni le systeme educatif, qui ne cesse de se deteriorer, ni les techniques nouvelles qui, toutes, vont dans le sens du developpement de 1’oral au detriment de l’ecrit. « Qu’une langue soit mortelle ne nous autorisepas a Venterrervivante », se fache Phi­ lippe de Saint-Robert. Le grammairien Gerald Antoine fait, pour sa part, une analyse inquietante :« Si voussterilisez lelangaged’un individu, son univers de mots, vous desertifiez son univers mental », expliquait-il il у a quelques annees. « Un langage deteriore dans sa syntaxe, reduit, restreint, simplifie dans son vocabulaire, devient en lui-тёте dangereux car il invite ceux qui le regoivent en heritage a un retredssement de la conscience.»

Le Figaro

T E X T E 1 3 * *

DO YOU SPEAK TOUTES LES LANGUES ?

Enquete. Une traduction efficace par machine interposee sera un jour possible. Les enjeux sont considerables alors que I’anglais ne represente deja plus qu’un tiers du contenu sur Internet.

epuis octobre 2006, l’armee americaine D en Irak experimente un logiciel revolutionnaire permettant la traduction orale et simultanee de l’anglais vers l’arabe.

Cette technologie congue par IBM, a ete imaginee pour que des soldats americains sans formation linguistique puissent communiquer avec leurs homologues irakiens. L’utilisateur parle dans un micro relie a un ordinateur, lequel reconnait la phrase, la traduit, puis la prononce en arade. Selon le fabricant, chacun

des 30 ordinateurs portables equipes connait 50 000 mots anglais et 100 000 mots arabes.

L’utilisation de ce type de logiciel reste, pour l’heure, experimentale. Mais la maitrise des langues par machine interposee, qui relevait jusqu’a present de la science-fiction, parait desormais de l’ordre du possible. De­ but janvier au Consumer Electronics Show de Las Vegas, la societe americaine SpeechGear a annonce la commercialisation d’un logiciel de traduction vocale, utilisable sur PDA, pour

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une dizaine de langues. « On ne remplacera jamais Vhumain. Mais, pour un cout tresfaible par rapport aux traductions professionnelles, on pourra a terme offrir des outils de compre­ hension de plus en plus precis et accessibles », pronostique Pierre Bernassau, directeur mar­ keting de Systran, entreprise frangaise, leader au niveau mondial.

Ces perspectives attirent au-dela des acteurs actuels de la traduction. Des multinationales comme Yahoo !, Google ou IBM se sont lancees dans l’experience en faisant le pari que ce type d’innovation pourrait bousculer la societe. Car face a l’explosion de la diffusion de contenus du monde entier, les enjeux sont tout a la fois economiques, geopolitiques et culturels.

Le meilleur exemple reste evidemment In­ ternet. D’ores et deja, l’anglais ne permet plus de comprendre qu’une part minoritaire du Web: selon les estimations de 1’organisation non gouvernementale Funredes, la langue de Shakespeare ne represente plus que 35% du contenu d’Internet, contre 75% en 1998 et la quasi-totalite en 1992. L’essor programme du Web en Asie devrait accentuer la tendan­ ce — ce qui signifie un volume gigantesque de pages potentiellement inaccessibles pour les Occidentaux. Avec pres de 400 millions d’utilisateurs recenses, le continent asiatique represente deja un tiers des internautes dans le monde alors que 10% seulement des habitants sont connectes (contre 70% des Americains et 40% des Europeens).

Dans le bouillonnement autour de la tra­ duction automatique, l’armee americaine entend jouer un role de premier plan. Son prin­ cipal centre de recherches, la Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency), affecte 50 millions de dollars par an aux « technolo­ gies des langues ». Pour faciliter les commu­ nications immediates avec les allies sur les champs de bataille, mais aussi, plus largement, pour pouvoir effectuer une veille strategique efficace face a l’explosion des informations sur Internet, un enjeu juge essentiel pour la securite interieure.

Google, aux avant-postes de la mondialisation linguistique, s’est egalement saisi du dossier: le premier moteur de recherche pro­ pose deja des outils de traduction automatique

entre l’anglais et 9 langues, a partir du logiciel produit par Systran. L’outil foumit des resul­ tats corrects, encore eloignes de la qualite obtenu par les traducteurs professionnels, mais qui permet, par exemple, la comprehension generate d’articles de journaux, de blogs.

La societe cherche a aller plus loin. Elle travaille depuis peu sur son propre logiciel avec une approche innovante. Comme pour son moteur de recherche, Google s’appuie sur une methode purement statistique: de maniere automatique, le logiciel repere dans des corpus de reference (Organisation des Nations unies, Union europeenne, Organisa­ tion mondiale du commerce, par exemple) la traduction professionnelle la plus frequente, done a priori la plus probable, d’un terme ou d’une phrase. Ce precede, rendu possible par le gigantisme des bases de donnees, est considere comme un des plus prometteurs : le NIST (National Institute of Standarts and Techno­ logy), une agence americaine devaluation, a estime, en novembre 2006, que les resultats obtenus (pour le chinois et 1’arabe) etaient les meilleurs, loin devant les logiciels traditionnels du marche.

Les experiences realisees dansle cadre d’un projet europeen, appele TC-Star, sont egale­ ment jugees encourageantes. Les logiciels uti­ lises permettent d’obtenir, simultanement, la reconnaissance vocale des discours prononces au Parlement europeen, leur traduction, puis leur restitution orale par 1’ordinateur. « Il est desormaispossible d’avoirdes traductions de dis­ cours comprehensibles », releve Gianni Lazzari, coordinateur du projet TC-Star. « On obtient des resultats proches de ceux d’interpretes pro­ fessionnels travaillant dans I’urgence », ajoute Khalid Choukri, delegue general d’ELRA (As­ sociation europeenne pour les ressources linguistiques).

Les experts envisagent de nouveaux pro­ gres a courte echeance. « J ’estime qu’on se trouve a la moitie du chemin par rapport a ce qu’on pourrait faire », indique ainsi Joseph Olive, le specialiste des « technologies des lan­ gues » a la Darpa, interroge en 2006 pour le compte d’un rapport officiel. « La prochaine etape, c’est lafusion entre les deux methodes de traduction: Vapproche traditionnelle, ou I’on applique des regies, corrigees et modifiees en

170

§ 5 . T E X T E S P O U R R E D I G E R U N C O M P T E R E N D U

permanence enfonction des erreurs repetees, et Vapproche statistique plus recente, qui permet d’identifier les traductions les plus probables apartir d’un corpus de traductions », explique Theo Hofferberg, PDG de Softissimo, qui developpe le logiciel Reverso, un des plus utilises sur le marche.

Alors qu’elle dispose d’une experience incomparable en matiere de diversite linguistique, l’Union europeenne reste paradoxalement en retrait: elle investit trois fois moins que la Darpa, soit 15 millions d’euros chaque annee. A court terme, son ambition est de reduire les coflts colossaux de la traduction in­ terne (1% de son budget global).

A moyen terme, pourtant, l’enjeu culturel apparait essentiel. « Seule la traduction permettra de preserver la diversite des langues en Europe et dans le monde », assene Xavier North, delegue general a la langue frangaise. Pour des langues comme le frangais, l’espagnol, 1’allemand, l’italien qui ne represented qu’un petit pourcentage de contenu sur Inter­ net, etre accessible meme de maniere simplifiee, au plus grand nombre sera essentiel pour esperer exister aux yeux du reste du monde. La traduction automatique pourra etre un des moyens d’y parvenir.

Luc Bronnet

Le Monde

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VERS UN M ONDE SANS ABEILLES ?

En France comme ailleurs, les essaims declinent dans

de dangereuses proportions. Une hecatombe aux origines controversies, mais dont chacun admet les lourdes consequencespour la planete

’hiver a ete meurtrier. En Alsace, dans les LHautes-Alpes, le Morbihan, le Jura... les abeilles disparaissent, laissant un desolant spectacle de ruches vides. Pas de cadavres,

ou juste quelques petits corps secs prostres en grappe... « On compte environ 30% de pertes chez les apiculteurs professionnels », estime- t-on au Centre national du developpement apicole (CNDA), qui n’a pas encore publie de

statistiques officielles. « 2008 est une annee dramatique », confirme Jean-Marie Survins, vice-president de l’Union nationale de Papiculture frangaise. « Il у a beaucoup de causes ; nous ne trouvons pas ce qui cloche ni comment faire face », lache Fabrice Allier, ingenieur re­ cherche et developpement au CNDA.

Selon Bernard Vaissiere, charge de re­ cherche au laboratoire Abeille et environnement de llnstitut national de la recherche agronomique d’Avignon, l’hecatombe s’explique par « la disparition des habitats et de la nourriture, le developpement de maladies et des predateurs, et Putilisation de produits phytosanitaires ». Certes, le role des pesticides, sujet a polemique depuis des annees, demeure central dans la surmortalite actuelle. Mais ces produits ne sont pas les seuls en cause...

Dans le box des accuses figurent ainsi plu­ sieurs parasites. II у a la loque, specialiste en pourrissement de tube digestif, ou encore

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C H A P I T RE I V. C OM PT E R END U

l’acariose des trachees, qui porte bien son nom. Mais surtout Varroa, 1’acarien blafard suceur de sang, et Nosema, le champignon tueur. Ces deux-la font la paire: la butineuse, epuisee dans un premier temps par le petit vampire, ne resiste pas, ensuite, aux assauts de Nosema, dont la derniere version, dite ceranae, est ac­ tive toute l’annee. C’est a lui qu’est imputee une part du massacre des ruches de Test du pays. Ces pathogenes ont profite du commerce des abeilles, notamment en provenance d’Asie, pour s’introduire en France ces dernieres an­ nees. Au-dela de ces parasites, un redoutable predateur a debarque en douce en Aquitaine en 2003, cache dans des poteries chinoises: le frelon asiatique. II terrorise les abeilles en claquant des mandibules a l’entree des ruches. Parti du Sud-Ouest, il remonte a present vers le nord, le long des cours d’eau.

Predateurs et virus trouvent en l’abeille une cible de choix. « On suppose que l’effet d’un pathogene est plus grand quand celleci est mal nourrie et stressee », precise Axel Decourtye, ecotoxicologue specialiste des abeilles. Naturellement sensibles airx agres­ sions toxiques, les butineuses, domestiques ou sauvages, souffrent d’un habitat degrade. Les­ sor des monocultures a peu a peu limite leur choix de pollens. Tant et si bien qu’elles vont desormais faire leurs « courses » en ville, plus

riche de diversite florale. Paradoxalement, ni les gaz d’echappement ni la frenesie urbaine ne les rebutent. Les miels urbains connaissent d’ailleurs un beau succes commercial.

Adieu, melons, fraises et kiwis

Moins d’abeilles, done moins de pollinisation en campagne... Ouvriere indispensable a la reproduction des vegetaux, Apis mellifera tient au creux de ses pattes une bonne part de notre regime alimentaire. D’oii une crainte grandissante pour les fleurs, mais aussi les le­ gumes et les fruits. Les quelque 20 000 especes d’abeilles recensees dans le monde contribuent a la survie et a revolution de plus de 80% des especes vegetales. Plus directement, 35% des calories que nous absorbons chaque jour proviennent de leur travail. Adieu, melons, fraises, amandes, kiwis ? L’heure est deja aux solutions alternatives. Sauf que l’homme peine a faire l’abeille et que la pollinisation ne s’improvise pas...

Des solutions, rarement heureuses, sou­ vent couteuses, ont ete imaginees :sur les hauts plateaux du Sichuan, les paysans chinois pollinisent les poiriers a la main, armes de plu­ mes de poulet. Aux Etats-Unis, c’est par helicoptere... Ni les bourdons ni les mouches, un temps consideres comme pollinisateurs de secours, n’ont la polyvalence et l’agilite de leurs cousines en jaune et noir. Dans l’attente de la

solution miracle, les apiculteurs s’adaptent. Aux Etats-Unis, certains cessent de produire du miel, et louent leurs ruchers pour la pollinisation. Ils sillonnent ainsi le pays en proposant leurs services. Un business juteux, estime a 15 milliards de dollars par an. Ce travail nomade, tres contraignant, est en­ core peu developpe en France, ou plus de 15 000 apicul­ teurs ont cesse leur activite entre 1994 et 2004.

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