Добавил:
Upload Опубликованный материал нарушает ваши авторские права? Сообщите нам.
Вуз: Предмет: Файл:
Peinture .Liivre.DOC
Скачиваний:
3
Добавлен:
08.11.2019
Размер:
17.25 Mб
Скачать

Le surréalisme est-il soluble au musée ?

Au Centre Pompidou, une anthologie de l’art surréaliste placée sous le regard d’André Breton. Au total, plus de 500 « objets poétiques ». Dont certains savent transmettre la grâce du merveilleux.

Il est une loi que les conservateurs de musée et les organisateurs d’expositions ont trop souvent enfreinte à leurs dépens1 pour la braver désormais : ce qu’on ne peut pas voir, il ne faut pas le montrer. Consacrer, quatre mois durant, l’étage noble du centre Georges-Pompidou à la gloire d’un écrivain, fût-il l’inventeur, défenseur, illustrateur et grand druide d’un des mouvements marquants du 20e siècle, André Breton, relevait de la tentative de suicide. On tremblait à la perspective de ces vitrines bourrées de grimoires2 dont ne s’offrent à la lecture que quelques lignes et qui, dans l’art de distiller l’ennui, n’ont d’équivalent que les alignements de silex3 taillés. Or le pari a été tenu, et brillamment. Imprévisiblement aussi, car ce par quoi l’exposition triomphe est également ce par quoi elle trahit son héros.

Les responsables ont su saisir la chance unique qu’offrait André Breton : réfractaire4 à la musique, il a voué dès son adolescence, comme Baudelaire et Apollinaire, une passion dévorante aux arts plastiques. Phénomène compensatoire ? « Mais l’image me fuyait », note l’auteur de Mont-de-Piété5 à propos de sa propre veine poétique : immobilisée par d’autres dans le piment6, la pierre ou le bronze, elle s’y est laissée rattraper. Peu d’hommes auront autant que lui regardé, questionné, collectionné, loué, soutenu, vécu, à l’occasion vendu peintures et sculptures.

Une si universelle curiosité présentait néanmoins un danger évident dès les premières salles. Y voisinent les chefs-d’œuvre cubistes de Picasso et de Braque, de Matisse postfauve, de Derain gothique, un grandiose Douanier Rousseau, d’admirables objets nègres – bref, on se croirait chez le marchand Paul Guillaume ou chez le couturier-collectionneur Jacques Doucet, seconde manière. De fait, on est chez Doucet, dont Breton fut pendant quelques années le conseiller artistique. Voyant, certains en ont douté, mais incontestablement clairvoyant.

Ce flair1 se manifeste de manière encore plus saisissante lorsque Breton trouve enfin des artistes de sa génération prêts à partager ses convictions. De Max Ernst à Matta, en passant par Masson, Miró, Tanguy, Dali, Giacometti, les meilleurs de l’entre-deux-guerres auront été détectés, accueillis, lancés par lui. Du coup, l’anthologie de l’art surréaliste qui se déploie devant nous est tellement éblouissante que le visiteur en oublie à qui il la doit.

Or il s’agissait non pas de refaire, sur les cimaises2, l’histoire de la peinture surréaliste, mais d’évoquer l’aventure, le regard d’André Breton. Les commissaires de la manifestation se sont donc efforcés de ressuciter les liens qui avaient, un temps, uni cet homme-ci et les œuvres des autres. Sur les 500 et quelques œuvres exhibées, plus des trois quarts ont figuré ou se trouvent encore dans le modeste appartement de la rue Fontaine que l’insatiable prédateur optique avait transformé, au fil des ans, en caverne d’Ali Baba, grotte des sirènes, antre de Prospero, arche de Noé où se pressaient masques du Pacifique ou eskimos et dessins d’aliénés, tableaux de De Chirico et papillons naturalisés, canne de compagnon boucher, poupées katchinas, objets inventés, objets trouvés, « objets poétiques ».

De ce capharnaüm3 inspiré se dégageaient un charme et quelques enseignements. S’il obéissait à un ordre, ce n’était certainement pas à celui de l’esthétique : la crème des ateliers n’y occupait pas une place plus importante que l’écume du marché aux puces4. Bien au contraire, cet « expédient5 lamentable qu’est la peinture » n’y avait droit de séjour que dans la mesure où ce lieu faisait taire, en elle, les péoccupations formelles, dont ne s’encombraient pas – d’où leur supériorité – cailloux ramassés sur les plages, ex-voto6 ou accessoires chamaniques. N’était admis à la Cour des miracles de la rue Fontaine que ce qui, aux yeux du maître, fonctionnait comme un signal envoyé d’un autre monde, irréductible au monde ordinaire et pourtant collé à lui, de l’autre côté de la cloison des routines.

Le surréalisme s’était fixé pour but d’ouvrir des brèches dans cette cloison. Desserrer ou trancher l’étau7 des censures, rendre à l’irrationnel le territoire abandonné à la raison par les temps modernes, restaurer les privilèges du rêve brimé par la veille, de l’inconscient refoulé par la conscience, tel était son projet. Née à l’ombre de la poésie, la révolte surréaliste s’est ensuite attaquée à d’autres formes d’oppression : prolétariat, alliénés, colonisés l’ont eu à leur côté, avec des fortunes diverses, comme le remarque Breton lui-même : « Toujours la force reste/ Au langage ancien... ». Suprême ironie : aujourd’hui, l’influence la plus manifeste du surréalisme, dont le fondateur stigmatisait1 « le mur de l’argent éclaboussé de cervelle », se situe dans le domaine de la publicité.

C’est, malgré tout, le champ du visuel qui aura le moins déçu Breton. Les récits de rêves peuvent être, à notre insu, truqués ; l’écriture automatique, conçue pour fatiguer l’attention censurante, épuise le lecteur. Seuls certains objets, certaines images captent et transmettent en un éclair la grâce du surréel. Encore faut-il reconnaître. L’insolite n’est pas une preuve : les prestidigitateurs simulent fort bien les miracles. À l’inverse, on ne voit pas pourquoi la foudre tombée d’ailleurs ne frapperait pas aussi bien « le ciel de tous les jours, une coupe et quelques fruits aigres » - à quoi Breton feint de réduire le programme de la peinture moderne – que la rencontre, imaginée par Lautréamont, d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection2.

L’objet élu se laisse reconnaître au fait que la rencontre en est nécessaire, inéluctable. Et cette nécessité se manifeste à travers le clignotement insistant de ce que Breton nomme le « hasard objectif », expression évidemment plus envoûtante que n’eût été son prosaïque synonyme « coïncidence ». À vrai dire, le test est plus hasardeux qu’objectif : si, plus que la plupart des hommes, Breton a fait des rencontres merveilleuses, au sens fort du terme, c’est parce que nul n’a à ce point désiré, espéré et sollicité l’intervention déchirante de la beauté convulsive dans la trame uniforme du quotidien. Le regard galvanise les choses vues.

De ce regard, le mythique repaire3 de la rue Fontaine garde le reflet. Et, à travers celui-ci, on peut imaginer l’effet électrisant qu’a pu avoir sur nombre d’artistes la présence du personnage. Leurs toiles, leurs collages ou assemblages, leurs photographies ont fixé l’explosante entrevue par Breton, mieux armé pour la défense que pour l’illustration, car comment évoquer par la plume un arc voltaïque quand on a le verbe lent et majestueux de l’Amazone ? Le peu comment don de sympathie, l’intérêt passionnel – amour fou qui, comme c’est la règle, se transformait aisément en haine, ruptures et réputations féroces succédant alors à l’enthousiasme – dont l’auteur des  Vases communicatifs  faisait preuve envers les artistes rappelle ces gens qui rapportent sur leurs enfants les rêves qu’ils n’ont su réaliser eux-mêmes. Le groupe réaliste ? Une incessante transfusion spirituelle, si l’on en croit les temoins, Marcel Jean, par exemple : « Breton absent, la vie se retirait de nos assemblées... »

Là se situe le problème de la rétrospective du centre Pompidou : Breton est absent. On ne saurait trop féliciter les organisateurs de ne pas avoir cherché à le ressuciter selon les recettes du musée Grévin, en reconstituant le congrès pittoresque de la rue Fontaine. Certes, ils n’ont pu éviter les vitrines reliquaires et leurs 200 documents – oserait-on priver les fidèles, aux jours anniversaires, de la monstrance du bout de saint suaire1, du morceau de la vraie croix et du fragment de la sainte épine2 ? – mais ils les ont cantonnés pour la plupart dans l’allée centrale. Partout ailleurs, peintures, sculptures et objets ont été disposés, clairement espacés, en ordre chronologique, conformément à la doctrine neutre et historiciste3 qui est celle de tous les musées du monde.

Et c’est le bon choix. La disparition de Breton n’entraîne pas la disparition du spectacle, mais se métamorphose. Pour mesure celle-ci, nous disposons d’un témoignage extraordinairement précis. En 1934, Alberto Giacometti et Breton, qui raconte l’épisode dans L’Amour fou, vont ensemble au marché aux puces. Chacun y déniche un de ces objets à travers lesquels se manifeste, selon le credo surrealiste, une transcendance4: le poète acquiert une cuillère de bois5 qui l’aide à matérialiser sa vision d’un Cendrier- Cendrillon ; le sculpteur, un masque de métal qu’il intègre dans une statue jusqu’alors inachevée, L’Objet invisible.

Tous deux sont exposés. L’œuvre de Breton est perdue parmi une foule de souvenirs, elle appartient au passé ; celle de Giacometti vit d’une seconde vie. Du même bord en 1934, par la vertu du présent partagé, elles sont désormais séparées par un gouffre qui va s’élargissant avec le temps. Au merveilleux surréaliste s’est substitué un autre mystère, spécifique à l’art, et que, faute de mieux, on pourrait appeler sa chimie. Infuse dans l’œuvre dès sa création, elle l’envahit peu à peu, rongeant l’éclat des autres composantes, rayonnant de plus en plus de son propre feu – à la manière de la thermoluminescence, qui s’accroît au fil des ans dans les objets en terre cuite.

A ceci près1 que le germe de ce feu-là n’est pas enfoui dans les œuvres de tout artiste (ni dans tous les moments de son parcours). L’exposition du centre Pompidou propose en abondance des spécimens des deux catégories. On s’aperçoit alors du terrible pouvoir du musée : son don de double vue. Il montre les unes telles qu’en elles-mêmes le temps les change et renvoie les autres aux archives de l’Histoire.

Fasciné par la rencontre du parapluie, de la machine à coudre et de la table de dissection, Breton était enclin à négliger ce quatrième acteur du drame, qui finirait par voler la scène aux trois autres. Penchant qui semble avoir augmenté avec l’âge, tant va croissant, avec les années, le nombre d’objets dont la richesse en trouvailles iconiques constituait à ses yeux un passeport suffisant. Ceux-là, en effet, lui demeurent fidèles. Les autres, au contraire, qui font aujourd’hui la beauté de cette rétrospective et la feront demain, s’éloignent de plus en plus de Breton et du cercle fervent dont il était le centre, comme la sonde spatiale de sa rampe de lancement. Ils illustrent non plus les prestiges du hasard objectif, mais ses limites : un coup de dés jamais n’abolira l’absence du talent.

Pierre Schneider, l’ Express

Devoirs.

1. Traduisez la phrase qui contient la proposition participe absolue :

1. Breton absent, la vie se retirait de nos assemblées... 

2. Traduisez la phrase qui contient le Conditionnel.

1. On ne saurait trop féliciter les organisateurs de ne pas avoir cherché à le ressuciter selon les recettes du musée Grévin, en reconstituant le congrès pittoresque de la rue Fontaine.

 

3. Résumez le texte ci-dessus en russe.

Соседние файлы в предмете [НЕСОРТИРОВАННОЕ]